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Page:Vigny - Théâtre, II, éd. Baldensperger, 1927.djvu/392

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« le manifeste de la poésie contre le siècle, accusé de la méconnaître et de la repousser ». La Revue de Paris de février 1835 (t. xiv, p. 225 et 307), après avoir constaté que Chatterton ne se rattache à aucune école, donne de la pièce une analyse sympathique, et constate bientôt que « le succès se confirme chaque jour. On apprécie mieux à chaque représentation les rares qualités d’analyse et de sensibilité, et les formes vraiment littéraires par lesquelles ce drame se renouvelle ».

Où la politique ne va-t-elle pas se nicher ? Vigny pourra dire sur le tard qu’à l’instigation de Victor Hugo, on affecta de croire que les prosaïques classes bourgeoises, les triomphatrices de Juillet, étaient visées dans la personne de Beckford, le dédaigneux utilitaire. « On souffla cette consigne aux Bertin des Débats pour me faire attaquer. J. Janin la perpétue… » Les Débats du 14 février (R.) estiment, en tout état de cause, qu’il ressort de la pièce « plutôt l’apologie du suicide que sa condamnation ». Sur la thèse elle-même, le journal passait vite à l’ordre du jour. « La société… est facile et indulgente au mérite, dès que le mérite a percé jusqu’à elle ; tout le monde trouve place dans le monde quand il le veut bien et longtemps… À la première représentation, le succès a été assez froid jusqu’au troisième acte, et même jusqu’à la seconde partie de cet acte. Depuis lors, le succès a été immense… » Le même journal, le 6 avril, revenait à la charge, cette fois sous les initiales de J. Janin, à propos d’un mélodrame des Folies-Dramatiques : « Vous faites de grandes préfaces sur l’état des poètes dans la société moderne, et vous vous évertuez à démontrer que l’homme de talent est aujourd’hui le plus malheureux des êtres créés ! Paradoxe ! Quel est le grand poète qui ne soit pas à sa place aujourd’hui ? » Et cela semblait, assez perfidement, souligner la gloire d’Hugo en face de la discrète renommée de Vigny.

D’un point de vue tout opposé, la Revue poétique reproche, en février 1835, à l’auteur de Chatterton « d’avoir sacrifié à l’effet scénique le rôle véritable de la poésie sur cette terre où elle ne peut se faire accepter comme le précepteur de l’humanité qu’à la condition de s’humaniser un peu elle-même ».

En raison du suicide final. Chatterton fut en général désapprouvé par la presse conservatrice. La Morvonnais dans l’Univers catholique (1837, p. 220) dira à ce sujet : « Si Chatterton avait eu un esprit plus chrétien, c’est-à-dire s’il avait vu les choses plus dans la réalité et avec moins de présomption et d’exigence, il eût peut-être été très