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Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/10

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En Italie même, où le génie des arts fut si précoce, la saine raison tarda longtemps paraître ; et, pour la trouver en France, il faudrait aller jusqu’aux belles années de Louis le Grand, si Montaigne n’avait paru dès le seizième siècle.

Né d’un père qui admirait la science, sans la juger, sans s’y connaître, et voulait donner a son fils un bien dont il était privé lui-même, il eut, dès le berceau, un précepteur à côté de sa nourrice, et apprit, pour ainsi dire, à bégayer dans la langue latine. Cette première facilité détermina son goût pour la lecture, et le jeta naturellement dans m’étude de l’antiquité, qui présentait à son esprit, avide de savoir, des plaisirs toujours nouveaux, sans le fatiguer par les efforts qu’exige l’intelligence d’un idiome étranger.

Poëtes, orateurs, historiens, philosophes, il dévore tout avec une égale ardeur. Il va de Rome dans la Grèce, qu’il il ne connut jamais aussi bien, parce qu’il ne la connut pas dès l’enfance ; mais il trouve dans Amyot un interprète agréable, un guide auquel il aime à se confier. Une imagination vive et curieuse lui fait parcourir mille objets ; une disposition particulière de son esprit lui fait observer tout ce qui se rapporte à l’homme, ses lois, ses mœurs, ses coutumes, et l’intéresse non-seulement à l’histoire générale, mais, pour ainsi dire, aux anecdotes de l’espèce humaine. Enfin, parvenu à l’âge mûr, il s’amuse à se rappeler tout ce qu’il a vu, senti, pensé, découvert en soi-même ou dans les autres. Il jette ses idées dans l’ordre, ou plutôt dans le désordre où elles se présentent, tantôt s’élevant aux plus sublimes spéculations de l’ancienne philosophie, tantôt descendant aux plus simples détails de la vie commune, parlant de tout, se mêlant toujours lui-même à ses discours, et faisant de cette espèce d’égoïsme, si insupportable dans les livres ordinaires, le plus grand charme du sien.