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Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/12

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indignation de Pascal. Cet inexorable moraliste, si grand par son génie encore au-dessus de ses ouvrages, ne craint pas d’affirmer que Montaigne met toutes choses dans un doute si universel et si général, que l’homme, doutant même s’il doute, son incertitude roule sur elle-même dans un cercle perpétuel et sans repos.

Pascal n’abuse-t-il pas ici de la puissance de son imagination, pour imposer à notre faiblesse par l’énergie de la parole ? Quel est ce fantôme d’incrédulité qu’il prend plaisir à élever lui-même, pour l’écraser aisément sous le poids de son invincible éloquence ? Où peut-il donc trouver, dans les aveux d’un philosophe si ingénieux et si modeste, cet incorrigible pyrrhonien, poursuivi par le doute jusque dans son doute même, et changeant de folie, sans pouvoir en guérir ? Montaigne n’a jamais douté ni de Dieu ni de la vertu. L’apologie de Raymond de Sébonde renferme la plus éloquente profession de foi sur l’existence de la Divinité ; et les orateurs sacrés n’ont jamais peint avec plus de force les tourments du vice, et la joie de la bonne conscience. Du reste, Montaigne trouve dans la nature de l’homme de terribles difficultés et d’inconcevables mystères ; il regarde en pitié les erreurs de notre raison, la faiblesse et l’incertitude de notre entendement ; il affecte un moment de nous ravaler jusqu’aux bêtes, et Pascal l’approuve alors. Ce sublime contempteur des misères de l’homme triomphe de voir[1] la superbe raison froissée par ses propres armes. Il aimerait, dit-il, de tout son cœur le ministre d’une si grande vengeance. Pourquoi donc, ô Pascal, défendiez-vous tout à l’heure à un sage de se défier de cette raison que vous-même reconnaissez si faible et si trompeuse ? Voulez-vous maintenant le conduire par l’impuissance de penser à la nécessité de croire, et vous

  1. Pensées de Pascal, ch. xi.