Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/154

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d’ailleurs affirmer avec Voltaire que tout le livre porte à faux, parce que jamais société n’a cru établir son autorité, en détruisant la morale ? L’instinct moral est-il tellement invariable et déterminé, qu’on ne puisse le séduire et le dénaturer, à la faveur d’une imposante autorité ? Quel homme n’a jamais hésité sur ses devoirs, et n’a pas quelquefois souhaité le droit d’y manquer sans blâme et sans remords ? Cette faiblesse de nos cœurs explique assez la faveur que peut obtenir une morale complaisante. Plus d’un écrivain célèbre n’a-t-il pas propagé sa philosophie par sa morale, et corrompu, pour réussir ?

On conçoit, en déplorant ce scandale, que, dans un siècle religieux, mais inégalement éclairé, une société qui aspirait à la domination des consciences, et qui portait son empire dans des pays différents de mœurs, de coutumes, de préjugés nationaux et domestiques, ait assoupli, par ambition, la règle morale qu’elle voulait faire adopter à tant d’esprits opposés. Vous êtes tenté de mettre en doute la véracité de Pascal, lorsque vous lisez dans ses lettres telle citation étrange où des prêtres, ministres de douceur et de paix, sanctifient le duel et autorisent l’homicide ; mais l’auteur de ces maximes n’est pas seulement jésuite ; il est Espagnol, il est Sicilien, il est de quelque pays où la vengeance restait héréditairement consacrée, où la dévotion, innée dans les mœurs des habitants, pouvait tout obtenir, hormis le sacrifice des passions indigènes et nationales comme elle.

Sans doute les coupables casuistes qui flattaient ces divers préjugés des peuples, avaient altéré le plus beau caractère de la loi chrétienne, la sublime uniformité de sa morale, indépendante des lieux, des temps et des hommes. C’était donc une œuvre juste et salutaire entreprise