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Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/158

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qu’aux mouvements et à la liberté violente de la tribune antique ? Les occasions, les mœurs ont bien change mais l’éloquence est la même.

S’agit-il de quelque grand intérêt de patriotisme ou de gloire ? Non ; il s’agit de défendre quelques humbles religieuses accusées d’hérésie. Mais qu’importe le sujet ? écoutez l’accent de l’orateur et l’indignation de l’homme de bien : « Cruels et lâches persécuteurs, faut-il donc que les cloîtres les plus retirés ne soient pas des asiles contre vos calomnies ? etc. Vous retranchez publiquement de l’Église ces vierges saintes, pendant qu’elles prient dans le secret pour vous et pour toute l’Église. Vous calomniez celles qui n’ont point d’oreilles pour vous ouïr, ni de bouche pour vous répondre. »

Si Pascal, dans ses lettres, a réuni tous les secrets de l’éloquence la plus énergique et la plus passionnée, quelques-unes de ses pensées nous apprennent que ce talent s’appuyait sur la méditation de toutes les ressources de l’art, et sur une théorie très-profonde, qu’il inventait à son usage. Il est assez inutile de lire les principes sur le goût écrits par des hommes sans génie. Mais quand un grand écrivain expose quelques idées générales sur l’art de la parole, nécessairement il les approprie à son caractère, aux habitudes de son esprit ; il y met quelque chose de lui ; et cette révélation est plus instructive que les principes mêmes de l’art. Pascal, si profond géomètre, avait conçu, par la supériorité de sa raison, l’usage et les bornes de l’esprit scientifique porté dans les arts. Ce qu’il a écrit sur l’esprit de géométrie et sur l’esprit de finesse est la plus complète réfutation des paradoxes littéraires que Fontenelle, d’Alembert et Condillac ont publiés dans le siècle suivant. Pascal, dont le génie n’avait point de préjugés, parce qu’il n’avait pas de limites, fixe le caractère des sciences positives et celui des lettres, sans