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Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/16

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vertu, confessant que c’est bien peu de chose, et que tout l’honneur en appartient à la nature plutôt qu’à lui. On a trouvé de l’orgueil dans cette méthode d’un homme qui rappelle tout à soi, et se fait centre de tout : elle n’est que raisonnable, et porte sur une vérité : tous les hommes se ressemblent au fond. Malgré les différences que met entre eux l’inégalité des talents, des caractères et des conditions, il est, si je puis parler ainsi, un air de famille commun à tous. A mesure qu’on a plus d’esprit, on trouve, dit Pascal, qu’il y a plus d’hommes originaux. N’est-il pas également vrai de dire qu’avec plus d’esprit encore on découvrirait l’homme original, dont tous les hommes ne sont que des nuances et des variétés qui le reproduisent avec diverses altérations, mais ne le dénaturent jamais ? Voilà ce que Montaigne a voulu trouver, et ce qu’il ne pouvait chercher qu’en lui-même. C’est ainsi qu’il nous jugeait en s’appréciant, et qu’il faisait notre histoire, en nous racontant la sienne. Mais en même temps qu’il étudie dans lui-même le caractère de l’homme, il étudie dans tous les hommes les modifications sans nombre dont ce caractère est susceptible. De là tant de récits sur tous les peuples du monde, sur leurs religions, leurs lois, leurs usages, leurs préjugés ; de là cette immense collection d’anecdotes antiques et modernes sur tous sujets et en tous genres ; entreprises hardies, sages conseils, exemples de vices ou de vertus, fautes, erreurs, faiblesses, pensées ou paroles remarquables. De là cette foule sans nombre de figures différentes qui passent tour à tour devant nos yeux, depuis les philosophes d’Athènes jusqu’aux sauvages du Canada. Placé au milieu de ce tableau mouvant, Montaigne voit et entend tous les personnages, les confrontant avec lui-même, et se persuadant de plus en plus que la coutume décide presque de tout ; qu’il n’y a du reste qu’un petit