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Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/26

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gique, les sons heurtés, les tournures vives et hasardées de Salluste ; l’expression rapide et profonde, la force et l’éclat de Pline l’ancien. Souvent aussi, donnant à sa prose toutes les richesses de la poésie, il s’épanche, il s’abandonne avec l’inépuisable facilité d’Ovide, ou respire la verve et l’âpreté de Lucrèce. Voilà les diverses couleurs qu’il emprunte de toutes parts, pour tracer des tableaux qui ne sont qu’à lui.

Souvent on se forme une idée générale sur la manière d’un écrivain, d’après une qualité particulière qui se fait remarquer dans son style. On cite toujours le naturel et la bonhomie de Montaigne, et sans doute, l’auteur des Essais se montrait bonhomme, lorsqu’il parlait de lui, et qu’il nous disait quel vin il aimait le mieux. Il se servait d’un parler simple et naïf, tel sur le papier qu’à la bouche[1] ; mais il ne se servait pas moins naturellement du langage le plus fort, le plus précis, et quelquefois même le plus magnifique, lorsqu’il était emporté par le souvenir d’un grand sentiment, d’une action noble et généreuse. N’est-ce pas dans Montaigne que je trouve la peinture de l’homme de cœur qui tombe obstiné en son courage ; qui, pour quelque danger de la mort voisine, ne relasche aucun point de son asseurance ; qui regarde encore, en rendant l’âme, son ennemi d’une vue ferme et dédaigneuse ; est battu, non pas de nous, mais de la fortune ; est tue, sans être vaincu ?

Et cette phrase aurait-elle paru faible à Démosthéne ? Il y a des pertes triomphantes à l’envi des victoires ; et ces quatre Victoires, sœurs de Salamine, de Platée, de Mycale, de Sicile, n’osèrent opposer toute leur gloire ensemble à la gloire de la déconfiture du roi Léonidas et des siens au pas des Thermopyles.

  1. Expression de Montaigne.