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Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/63

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formes quelquefois très-variées ; mais un homme supérieur se livre à des impressions ou à des études diverses qui lui donnent autant de caractères nouveaux.

Montesquieu a été tour à tour le peintre le plus exact et le plus piquant modèle de l’esprit du dix-huitième siècle, l’historien et le juge des Romains, l’interprète des lois de tous les peuples ; il a suivi son siècle, ses études, et son génie. Les peintures spirituelles et satiriques des Lettres persanes feront pressentir quelques-uns des défauts qu’on reproche à l’Esprit des Lois, mais nous y verrons percer les saillies d’une raison puissante et hardie, qui ne peut se contenir dans les bornes d’un sujet frivole, et franchit d’abord les points les plus élevés des disputes humaines.

Le plus beau triomphe d’un grand écrivain serait de dominer ses contemporains, sans rien emprunter de leurs opinions et de leurs mœurs, et de plaire par la seule force de la raison ; mais le désir impatient de la gloire ne permet pas de tenter ce triomphe, peut-être impossible ; et les hommes qui doivent obtenir le plus d’autorité sur leur siècle, commencent par lui obéir. Telle est cette influence, que les mêmes génies, transportés à d’autres époques, changeraient le caractère de leurs écrits, et que l’ouvrage le plus original porte la marque du siècle, autant que celle de l’auteur.

Montesquieu, nourri dans l’étude austère des lois, et revêtu d’une grave magistrature, publie, en essayant de cacher son nom, un ouvrage brillant et spirituel, où la hardiesse des opinions n’est interrompue que par les vives peintures de l’amour. Un nouveau siècle a remplacé le siècle de Louis XIV ; et le génie de cette époque naissante anime les Lettres persanes : vous le retrouverez là plus étincelant que dans les écrits mêmes de Voltaire : c’est le siècle des opinions nouvelles, le siècle de l’esprit.