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Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/71

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plus de liberté que de justice tout ce qu’on avait révéré jusqu’alors[1].

La supériorité même des écrivains du grand siècle poussait leurs successeurs dans ces routes nouvelles ; car l’ambition de créer égale dans l’écrivain le besoin de variété qui tourmente et séduit le vulgaire des hommes. Il cherche par les saillies du paradoxe les succès que ne lui promet plus la vérité trop simple ou trop connue ; il demande à la hardiesse, a la licence, au scandale même, ce que lui refusent la décence et la religion. Si les vérités morales ne sont pas infinies comme les vérités géométriques, on peut concevoir que le génie, dans sa perpétuelle activité, attaquera quelquefois les premières, tandis qu’il augmente incessamment les autres. Semblable au conquérant qui se précipite plutôt que de s’arrêter, quand il est au terme de la venté, il s’élance au delà ; et il égare les hommes plutôt que de renoncer à les conduire.

Vous qui souffrez avec indignation la chute des anciennes maximes, n’accusez pas uniquement les écrivains célèbres, dont les opinions hardies ont corrigé quelques erreurs et mis tant de vérités en problème. Ces opinions étaient de leur siècle autant que de leur choix ; elles tenaient à cette mobilité générale de la pensée, qui ne permet ni à l’ambition de l’homme supérieur, ni a la curiosité de la foule, de suivre toujours les routes antiques.

Le caractère du dix-huitième siècle, c’est d’avoir mis les idées à la place des croyances : mouvement que l’on devait pressentir, et qu’il ne faudrait pas accuser, s’il s’était arrêté devant les bornes éternelles de la religion et de la morale. L’esprit humain s’emploie d’abord à maintenir les croyances ; plus tard son activité le porte à les combattre. Les croyances une fois établies ont besoin de

  1. Voir à la fin de l’Éloge, note D.