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Page:Villemain - Essais sur le génie de Pindare, 1859.djvu/308

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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

poésie. Mais cette poésie, on peut le dire, faisait partie de l’action même ; elle était comme l’appareil et le langage sacramentel du patriotisme et du courage. C’est ainsi que le consul Décius, jaloux de ranimer l’ardeur des légions, s’était, au milieu du champ de bataille, solennellement dévoué, vêtu d’un manteau pontifical, les pieds posés sur le fer d’un javelot, proférant des paroles sacrées, chantant l’hymne de sa mort[1], puis s’élançant à travers les rangs les plus épais des ennemis pour accomplir son vœu par leurs mains.

Nul doute que, dans les combats et dans les fêtes triomphales de Rome, il n’ait ainsi de bonne heure apparu quelque reflet éclatant de poésie, comme l’étincelle jaillit des cailloux du sol sous le pied ferré du coursier. Puis survint, non pas encore l’art harmonieux, mais la tradition religieuse des Grecs, et avec elle des oracles, des exhortations ou des menaces, dont usait la politique des chefs de Rome. C’est ainsi que ce mont Albain, où, selon la plaisanterie d’Horace[2], les Muses avaient dicté de vieilles prédictions dont il trouvait le style fort barbare, voyait chaque année le retour de fêtes religieuses favorables du moins à l’inspiration poétique.

Des prédictions en vers circulaient, au temps de

  1. Tit. Liv., lib. viii, c. 9.
  2. Annosa volumina vatum
    Dictitet Albano Musas in monte loquutas.

    Horat. Epist. i, libr. 2.