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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

tre antique ; et cette forme, que goûtaient les spectateurs, dut rendre enfin à la tragédie latine, dans les sujets imités de l’art grec, quelques accents d’inspiration lyrique. Cela même y jeta parfois cette variété de mélodie, ces nombres impétueux et divers qu’avait connus l’ode grecque, et qui seuls pouvaient suivre par la musique, comme par l’expression, toutes les secousses de l’âme.

C’est ainsi que dans Andromaque, inspirée de tout Euripide plutôt qu’imitée d’une de ses pièces, Ennius prêtait à la veuve d’Hector ces pathétiques paroles, dont le chant lugubre semblait retentir encore dans l’âme de Cicéron, loin du Forum et du théâtre, et lui faisaient dire : « Ô le grand poëte, bien qu’il soit dédaigné par ces chanteurs qui fredonnent les airs d’Euphorion ! »

« Quel secours demander ? Que faire et sur quoi m’appuyer, dans l’exil ou la fuite ? Sans défense, sans asile, où me réfugier ? à qui m’adresser, moi ? Les autels des dieux ne sont plus debout dans ma patrie. Ils gisent brisés et dispersés ; les sanctuaires ont péri sous le feu ; il reste de hautes murailles brûlées, hideuses, avec des poutres noircies. Ô mon père ! ô ma patrie ! ô maison de Priam ! ô temple couvert d’un dôme retentissant ! je t’ai vu, dans l’abondance de tes richesses d’Orient, sous des lambris d’or et d’ivoire, royalement paré ; et tout cela, je l’ai vu ravagé par la flamme, la vie arrachée à Priam,