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Page:Villemain - Essais sur le génie de Pindare, 1859.djvu/321

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ET SUR LA POÉSIE LYRIQUE.

applaudissements, les acclamations, les sanglots étouffés d’une foule immense. Ce jour-là, le sauveur de Rome contre Catilina était rappelé par la voix publique, avant le vote des comices populaires.

Une autre fois, dans le Brutus du même poëte Accius, le nom même de Cicéron parut désigné par ces mots que prononçait l’auteur : « Tullius qui avait fondé la liberté de Rome[1]. »

Et ce témoignage ainsi arraché ne restait pas stérile, comme plus tard, lorsque ces mêmes Romains, aux fêtes d’Apollon, même dans la tragédie mythologique de Térée, applaudissaient Brutus absent, mais ne s’armaient ni pour lui ni pour eux-mêmes. Il faut donc le reconnaître : dans une œuvre d’imitation, dans l’ébauche encore incomplète du théâtre tragique chez les Romains, quelque chose restait de cette ardeur première, de cette puissance lyrique dont Eschyle avait passionné les âmes. Ennius avait été soldat, comme Eschyle : et il osait se dire à lui-même : « Salut ! poëte Ennius[2], qui verses aux mortels, jusque dans la moelle des os, la flamme de tes chants. »

À part ce qu’il avait perdu ou retranché du luxe musical de ses modèles, nul doute qu’entouré de leurs richesses, renouvelant leurs poétiques sujets, l’Andro-

  1. Cicer. Ibid. 58.
  2. Enni poeta, salve, qui mortalibus
    Versus propinas flammeos medullitus.

    Enn. Satyr., 1. 3.