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Page:Villemain - Essais sur le génie de Pindare, 1859.djvu/592

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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

Ténébreux torrent, combien ta vue élève ma pensée !… Où est ton origine ? Qui a nourri durant tant de siècles ta source inépuisable ? Qui peut faire que, sous le poids des flots dont tu le charges sans cesse, l’Océan débordé ne couvre pas la terre ? » À ces demandes le poëte répond comme un inspiré : « Le Seigneur a étendu sa main toute-puissante ; il a revêtu de nuées la lumière ; il a donné sa voix à tes flots déchaînés, et paré de son arc ton front terrible. »

Après ces grandeurs de la nature, après le soleil de Cuba, les forêts de la Virginie, ce qui possède l’âme d’Heredia, ce qui la fortifie et l’élève, c’est l’amour de la liberté, mais aussi de la justice, de la modération, de tout ce qui manquait aux révolutions du Mexique, tour à tour célébrées et maudites par le poëte. Il revint toutefois sur cette brûlante arène, car la patrie lui manquait encore plus que la liberté.

« Patrie, disait-il dans quelques vers harmonieux, nom triste et cher au pèlerin misérable jeté loin du sol où il est né, quand viendra l’ombre de l’arbre paternel rafraîchir ma tête brûlante ? Quand viendront, au souffle de la nuit, les frémissements des palmiers et des platanes apaiser et enchanter ma vie ? »

La nuit, entre les rauques mugissements de la mer, s’élève l’hymne douloureux de l’expatrié : « Oh ! si l’Océan, immobile sous les ténèbres muettes, s’endormait durant les calmes de juin ou de juillet, je croi-