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Page:Villemain - Essais sur le génie de Pindare, 1859.djvu/604

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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

vite, notre civilisation n’ait jeté partout, avec son expérience de plusieurs siècles et ses plus récentes inventions, que le bon sens pratique, l’intelligente âpreté au gain, et cette active distribution du travail, cet emploi technique et pressé de la vie, qui laisse si peu de temps aux plaisirs délicats de l’âme et du goût ? Faudrait-il conjecturer enfin pour unique avenir, pour dernier progrès du monde civilisé, le triomphe de ce que l’on a nommé la science sociale, de cette égalité utilitaire, que les uns, rêveurs sans imagination, fanatiques sans culte, prétendraient réaliser par un niveau démocratique asservi à des règlements de vie commune et de salaire, et que d’autres seraient prêts à représenter plus commodément et plus vite par la simple action du despotisme militaire et civil ?

Les théoriciens ne manquent pas, pour recommander cette dernière utopie. On a vanté gravement la domination des Césars de Rome, comme une ère d’égalité sociale dont l’état de nos mœurs nous rapproche et que nous pourrions nous promettre.

Hâtez-vous de répondre à ces sophismes d’une science intéressée que le fait, invoqué à défaut du droit, est inexact et trompeur. Cet heureux matérialisme, où se serait complu l’espèce humaine sous le joug égal de Rome, ce sommeil des âmes dans une servitude affermie, n’exista jamais. À part les révolutions de palais qui interrompaient le cours régulier de cet ordre de choses et en changeaient les principaux per-