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Page:Villemain - Essais sur le génie de Pindare, 1859.djvu/62

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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

qui son culte sert de patrie. Et, chose extraordinaire, en même temps qu’elle conserve au plus haut degré l’empreinte d’une race particulière et séparée, elle est, par la force et la vérité des mouvements, par l’abondance de la passion, le langage qui parle le mieux au plus grand nombre des âmes humaines. Le monde oubliera-t-il jamais le cantique du passage de la mer Rouge ? Dans quel coin de l’univers agrandi par nos découvertes, dans quelles forêts défrichées de l’Amérique, sur quels plateaux de la haute Asie, cet hymne impérissable ne sera-t-il pas répété quelque jour ? On sait quelle était la puissance de ce souvenir chez le peuple d’Israël, et comment, après ses premières dispersions, ce chant se retrouvait en Égypte parmi les Thérapeutes et marquait leur filiation hébraïque. Dépouillé du spectacle dont il s’entourait alors, arrivé jusqu’à nous sous les couleurs affaiblies de versions successives, on y sent encore ce feu d’enthousiasme que l’art ne saurait feindre et qui atteste la grandeur du péril et de la délivrance.

Un pieux lettré, qui, à la fin du dix-septième siècle, commentait cette inspiration des premiers temps, disait « qu’au prix de ce cantique, Virgile lui paraissait tout de glace » ; malheureusement, il glaçait lui-même de ses analyses ce qu’admirait sa foi. L’ardeur de la passion ne s’explique pas plus que le principe de la vie ; elle meurt de même, avant d’être saisie par le scalpel qui la cherche. Le chant de Moïse a duré, comme la race