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Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/173

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jadis le fier Lycurgue asservit à son joug. Une antique hospitalité, des liens fraternels l’unirent long-temps à Troie, tant que Troie fut heureuse. Je vogue vers ces lieux. Là, débarqué sous de tristes auspices, j’assieds dans un golfe les fondemens d’une cité nouvelle, et je me plais à lui donner mon nom.

Un jour, j’offrais un pur encens à Vénus, mon auguste mère, ainsi qu’aux divinités protectrices de mes travaux : j’immolais sur la rive un taureau superbe au puissant maître de l’Olympe. Non loin s’élevait un tertre, hérissé d’un taillis sauvage de myrtes et de cornouillers. J’approche ; et, penché vers la terre, j’essaie d’en arracher la verdoyante parure, pour décorer de feuillage l’autel du sacrifice… Ô prodige affreux ! épouvantable souvenir ! à la première tige que j’enlève, un sang noir dégoutte des racines rompues, et souille d’une rosée livide le sol qu’elles ont quitté. Je frissonne d’horreur : une sueur froide a glacé mes sens. Mes mains ébranlent un autre arbuste, en séparent un rameau flexible, et veulent sonder ce mystère : un nouveau sang distille d’une écorce nouvelle. Agité de pensées diverses, j’adorais les Nymphes des bocages, et le dieu redoutable qui préside aux campagnes des Gètes ; j’implorais des signes plus heureux, et des présages moins sinistres. Mais tandis que, redoublant d’efforts, j’attaque un troisième arbrisseau, et que, pressant du genou la terre, je lutte contre l’arène ; le dirai-je ? de lugubres soupirs semblent sortir d’un tombeau, et ces accens douloureux viennent frapper mon oreille : « Pourquoi, fils d’Anchise, déchirer un malheureux ? Épargne le repos