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Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/271

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spectre effrayant je t’assiégerai partout. Ton châtiment, perfide, expiera mes pleurs. J’apprendrai ton supplice, et le bruit en viendra jusqu’à moi dans le profond séjour des Mânes. »

Elle dit ; et rompant tout à coup ce fatal entretien, elle fuit le jour qui l’importune, s’arrache brusquement aux yeux du héros, et le laisse interdit, muet, et cherchant en vain ses réponses. Ses femmes la reçoivent dans leurs bras, la reportent mourante sous ses pompeux lambris, et la déposent tristement sur sa couche royale.

Le sensible Énée voudrait adoucir les chagrins de la Reine, et charmer du moins ses douleurs par des paroles consolantes ; il gémit, il soupire, et sa constance ébranlée résiste à peine aux assauts de l’amour : mais les dieux parlent ; il obéit, et retourne à sa flotte. À son aspect, les Troyens redoublent d’ardeur : déjà la nef élancée descend au loin du rivage ; déjà la carène fend mollement les flots : cent bras dépouillent les forêts, cent bras en rapportent à la hâte et des rames garnies encore de feuillage, et des mâts à peine ébauchés : tout s’empresse, tout brûle de partir : les chemins sont couverts d’une foule impatiente qui déserte à l’envi les remparts. Telles, autour d’un vaste amas de blé, les fourmis, prévoyant l’hiver, pillent les trésors de l’automne, et courent emplir leurs magasins : le noir bataillon chemine à travers la campagne, et, sillonnant au loin les herbes, voiture son butin par un étroit sentier : l’une, trébuchant sous le faix, porte un énorme grain ; l’autre, pressant la marche, rallie