Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/395

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Triste, les yeux baissés, le héros s’éloigne à pas lents, et déplore au fond de son cœur l’aveugle destinée des mortels. Son fidèle Achate l’accompagne, l’âme agitée des mêmes inquiétudes. Mille propos divers forment leur entretien. « Quel est cet ami malheureux dont la prêtresse leur annonce le trépas ? Quel est ce corps sans vie dont elle ordonne les obsèques ? » Ils arrivent… ô douleur ! c’est Misène qu’ils aperçoivent étendu sur l’arène, victime d’une mort misérable ; Misène, enfant d’Éole, et qui n’eut point d’égal dans l’art d’enflammer les courages aux accens de l’airain, d’échauffer les fureurs de Mars par des chants belliqueux. Autrefois, il suivit le grand Hector dans les batailles ; à côté de ce héros, il voltigeait sans peur dans la mêlée, maniant avec gloire et le clairon et la lance. Après qu’Achille vainqueur eut mis Hector au cercueil, le généreux Misène associa sa fortune à celle du fils d’Anchise, et ne crut point déchoir sous un chef si fameux. Mais un jour qu’il faisait résonner les mers de ses bruyantes fanfares, il osa, l’imprudent ! défier au combat de la conque les divinités de l’humide empire. Alors Triton jaloux, si l’on peut croire de telles vengeances, saisit, à l’improviste, ce rival téméraire, et l’abîma parmi les rocs sous les vagues écumantes.

Les Troyens, rassemblés en foule autour de son cadavre, remplissaient l’air de leurs gémissemens. Énée surtout s’abandonne aux plus touchans regrets. Il commande, et, l’œil en pleurs, chacun s’empresse d’obéir aux lois de la Sibylle. On prépare l’autel