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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/105

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MÉMOIRES.

de demander sa grâce au très-clément fils du très-dur Frédéric-Guillaume. Sa Majesté se plaisait à dire que c’était pour moi qu’il faisait jouer la Clemenza di Tito, opéra plein de beautés, du célèbre Metastasio, mis en musique par le roi lui-même, aidé de son compositeur. Je pris mon temps pour recommander à ses bontés ce pauvre Franc-Comtois sans oreilles et sans nez, et je lui détachai cette semonce[1] :

Génie universel, âme sensible et ferme,
Quoi ! lorsque vous régnez, il est des malheureux !
Aux tourments d’un coupable il vous faut mettre un terme,
Et n’en mettre jamais à vos soins généreux.

Voyez autour de vous les Prières tremblantes,
Filles du repentir, maîtresses des grands cœurs,
S’étonner d’arroser de larmes impuissantes
Les mains qui de la terre ont dû sécher les pleurs.

Ah ! pourquoi m’étaler avec magnificence
Ce spectacle étonnant où triomphe Titus !
Pour achever la fête, égalez sa clémence,
Et l’imitez en tout, ou ne le vantez plus.

La requête était un peu forte ; mais on a le privilége de dire ce qu’on veut en vers. Le roi promit quelque adoucissement ; et même, plusieurs mois après, il eut la bonté de mettre le gentilhomme dont il s’agissait à l’hôpital, à six sous par jour. Il avait refusé cette grâce à la reine sa mère, qui apparemment ne l’avait demandée qu’en prose.

Au milieu des fêtes, des opéras, des soupers, ma négociation secrète avançait. Le roi trouva bon que je lui parlasse de tout ; et j’entremêlais souvent des questions sur la France et sur l’Autriche à propos de l’Énéide et de Tite-Live. La conversation s’animait quelquefois ; le roi s’échauffait, et me disait que tant que notre cour frapperait à toutes les portes pour obtenir la paix, il ne s’aviserait pas de se battre pour elle. Je lui envoyais de ma chambre à son appartement mes réflexions sur un papier à mi-marge. Il répondait sur une colonne à mes hardiesses. J’ai encore ce papier où je lui disais : « Doutez-vous que la maison d’Au-

  1. Voyez une autre version de cette pièce dans le tome VIII (Stances, année 1743).