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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/146

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COMMENTAIRE

jeune écolier qui pouvait faire ce qu’il demandait. Voici les vers que cet enfant composa :

                Digne fils du plus grand des rois[1],
                Son amour et notre espérance,
                Vous qui, sans régner sur la France,
                Régnez sur le cœur des François,
                Souffrez-vous que ma vieille veine,
                Par un effort ambitieux.
                Ose vous donner une étrenne,
Vous qui n’en recevez que de la main des dieux ?
                On a dit qu’à votre naissance
                    Mars vous donna la vaillance,
Minerve, la sagesse ; Apollon, la beauté :
Mais un dieu bienfaisant, que j’implore en mes peines
         Voulut aussi me donner mes étrennes,
         En vous donnant la libéralité.

Cette bagatelle d’un jeune écolier valut quelques louis d’or à l’invalide, et fit quelque bruit à Versailles et à Paris. Il est à croire que dès lors le jeune homme fut déterminé à suivre son penchant pour la poésie. Mais je lui ai entendu dire à lui-même que ce qui l’y engagea plus fortement fut qu’au sortir du collége, ayant été envoyé aux écoles de droit par son père, trésorier de la chambre des comptes, il fut si choqué de la manière dont on y enseignait la jurisprudence que cela seul le tourna entièrement du côté des belles-lettres.

Tout jeune qu’il était, il fut admis dans la société de l’abbé de Chaulieu, du marquis de La Fare, du duc de Sully, de l’abbé Courtin ; et il nous a dit plusieurs fois que son père l’avait cru perdu, parce qu’il voyait bonne compagnie et qu’il faisait des vers.

Il avait commencé dès l’âge de dix-huit ans la tragédie d’Œdipe, dans laquelle il voulut mettre des chœurs à la manière des anciens[2]. Les comédiens eurent beaucoup de répugnance à

  1. Cette pièce, qui est de 1706 ou 1707, présente ici quelques différences avec le texte qui est au tome X, page 213.
  2. Nous avons une lettre du savant Dacier, de 1713, dans laquelle il exhorte l’auteur, qui avait déjà fait sa pièce, à y joindre des chœurs chantants, à l’exemple des Grecs. Mais la chose était impraticable sur le théâtre français. (Note de Voltaire.)

    — Lorsqu’en 1769, M. de Voltaire obtint justice à Toulouse pour le malheureux Sirven, M. de Merville, avocat chargé de cette cause, refusa toute espèce d’honoraires, et demanda pour toute reconnaissance à M. de Voltaire qu’il voulût bien ajouter des chœurs à son Œdipe. (K.)