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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/178

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COMMENTAIRE

et incapable de rappeler ses esprits à la lueur des bûchers et à l’aspect des roues et des tortures.

On fit craindre au jeune Donat Calas d’être traité comme le reste de sa famille ; on lui conseilla de s’enfuir en Suisse ; il vint trouver M. de Voltaire, qui ne put d’abord que le plaindre et le secourir, sans oser porter un jugement sur son père, sa mère et ses frères.

Bientôt après, un de ses frères, n’ayant été condamné qu’au bannissement, vint aussi se jeter entre les bras de M. de Voltaire. J’ai été témoin qu’il prit, pendant plus d’un mois, toutes les précautions imaginables pour s’assurer de l’innocence de la famille. Dès qu’il fut parvenu à s’en convaincre, il se crut obligé en conscience d’employer ses amis, sa bourse, sa plume, son crédit, pour réparer la méprise funeste des sept juges de Toulouse, et pour faire revoir le procès au conseil du roi. L’affaire dura trois années. On sait quelle gloire MM. de Crosne et de Bacquencourt acquirent en rapportant cette cause mémorable. Cinquante maîtres des requêtes déclarèrent, d’une voix unanime, toute la famille Calas innocente, et la recommandèrent à l’équité bienfaisante du roi. M. le duc de Choiseul, qui n’a jamais perdu une occasion de signaler la magnanimité de son caractère, non-seulement secourut de son argent cette famille malheureuse, mais obtint de Sa Majesté trente-six mille francs pour elle.

Ce fut le 9 mars 1765 que fut rendu cet arrêt authentique qui justifia les Calas, et qui changea leur destinée ; ce neuvième de mars était précisément le même jour où ce vertueux père de famille avait été supplicié. Tout Paris courut en foule les voir sortir de prison, et battit des mains en versant des larmes[1]. La famille entière a toujours été depuis ce temps attachée tendrement à M. de Voltaire, qui s’est fait un grand honneur de demeurer leur ami.

On remarqua en ce temps qu’il n’y eut dans toute la France que le nommé Fréron, auteur de je ne sais quelle brochure périodique intitulée Lettres à la Comtesse[2], et ensuite Année litté-

  1. On sait que M. de Voltaire, treize ans après, revint à Paris. Lorsqu’il sortait à pied, il était toujours entouré par une foule d’hommes de tout état et de tout âge. On demandait un jour à une femme du peuple quel était cet homme que l’on suivait avec tant d’empressement : « C’est le sauveur des Calas, » répondit-elle. (K.)
  2. Le titre est : Lettres de madame la comtesse *** ; voyez la note, tome XVIII, page 558.