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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/181

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HISTORIQUE.


hommes sont frères, et il le prouva par les faits. Les Guyon, les Nonotte, les Patouillet, les Paulian, et autres zélés, le lui ont bien reproché ; c’est qu’ils n’étaient pas ses frères.

« Voyez-vous, disait-il aux voyageurs qui venaient le voir, cette inscription au-dessus de l’église que j’ai fait bâtir ? Deo erexit Voltaire. C’est au Dieu père commun de tous les hommes. En effet, c’était peut-être parmi nous la seule église dédiée à Dieu seul.

Parmi ces étrangers qui vinrent en foule à Ferney, on compta plus d’un prince souverain. Il fut honoré d’une correspondance très-suivie avec plusieurs d’entre eux, dont les lettres sont entre mes mains. La moins interrompue fut celle de Sa Majesté le roi de Prusse et de Mme Wilhelmine, margrave de Baireuth, sa sœur.

Le temps qui s’écoula entre la bataille de Kollin, le 18 juin 1757, que le roi de Prusse perdit, et la journée de Rosbach, du 5 novembre, où il fut vainqueur, est le temps le plus intéressant de cette correspondance rare entre une maison royale de héros et un simple homme de lettres. En voici une grande preuve dans cette lettre mémorable[1].

On voit par cette lettre, aussi attendrissante que bien écrite, quelle était la belle âme de la margrave de Baireuth, et combien elle méritait les éloges que lui donna M. de Voltaire en pleurant sa mort, dans une ode imprimée parmi ses autres ouvrages[2]. Mais on voit surtout quels désastres épouvantables attirent sur les peuples des guerres légèrement entreprises par les rois ; on voit à quoi ils s’exposent eux-mêmes, et à quel point ils sont malheureux de faire le malheur des nations.

Le solitaire de Ferney donna dès ce moment, et dans la suite de cette guerre funeste, toutes les marques possibles de son attachement à madame la margrave, de son zèle pour le roi son frère, et de son amour pour la paix. Il engagea le cardinal de Tencin, retiré alors à Lyon, à entrer en correspondance avec Mme de Baireuth pour ménager cette paix si désirable. Les lettres de cette princesse, et celles du cardinal, passaient par Genève dans un pays neutre, et par les mains de M. de Voltaire.

Ce sera une époque singulière que la résolution prise par le roi de Prusse, après tous ses malheurs, qui furent les suites de la bataille de Kollin, d’aller affronter vers la Saxe, auprès de

  1. Ici était transcrite la lettre de la princesse Wilhelmine, du 12 septembre 1757, qui est au tome XXXIX, page 263.
  2. Voyez tome VIII, page 462.