Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/265

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
191
VIE DE VOLTAIRE.

La fortune dont jouissait M. Arouet procura deux grands avantages à son fils : d’abord celui d’une éducation soignée, sans laquelle le génie n’atteint jamais la hauteur où il aurait pu s’élever. Si on parcourt l’histoire moderne, on verra que tous les hommes du premier ordre, tous ceux dont les ouvrages ont approché de la perfection, n’avaient pas eu à réparer le défaut d’une première éducation.

L’avantage de naître avec une fortune indépendante n’est pas moins précieux. Jamais M. de Voltaire n’éprouva le malheur d’être obligé ni de renoncer à sa liberté pour assurer sa subsistance, ni de soumettre son génie à un travail commandé par la nécessité de vivre, ni de ménager les préjugés ou les passions d’un protecteur. Ainsi son esprit ne fut point enchaîné par cette habitude de la crainte, qui non-seulement empêche de produire, mais imprime à toutes les productions un caractère d’incertitude et de faiblesse. Sa jeunesse, à l’abri des inquiétudes de la pauvreté, ne l’exposa point à contracter ou cette timidité servile que fait naître dans une âme faible le besoin habituel des autres hommes, ou cette âpreté et cette inquiète et soupçonneuse irritabilité, suite infaillible pour les âmes fortes de l’opposition entre la dépendance à laquelle la nécessité les soumet, et la liberté que demandent les grandes pensées qui les occupent.

Le jeune Arouet fut mis au collége des jésuites, où étaient élevés les enfants de la première noblesse, excepté ceux des jansénistes ; et les jansénistes, odieux à la cour, étaient rares parmi les hommes qui, alors obligés par l’usage de choisir une religion sans la connaître, adoptaient naturellement la plus utile à leurs intérêts temporels. Il eut pour professeurs de rhétorique le Père Porée, qui, étant à la fois un homme d’esprit et un bon homme, voyait dans le jeune Arouet le germe d’un grand homme ; et le Père Lejay[1], qui, frappé de la hardiesse de ses idées et de l’indépendance de ses opinions, lui prédisait qu’il serait en France le coryphée du déisme ; prophéties que l’événement a également justifiées[2].

    avait vingt-cinq ans. La réunion des deux noms prouve que ce n’était pas pour faire oublier le premier qu’il avait pris le second. (B.) On n’a jamais pu dire où était situé le petit bien d’où François Arouet aurait tiré son pseudonyme. (Jal.)

  1. Gabriel-François Lejay, né à Paris vers 1660, mort le 21 février 1734.
  2. Le roi de Prusse, dans son Éloge de Voltaire (voyez ci-dessus, page 133), dit que le Père Tournemine fut un des professeurs de Voltaire, ce qui est confirmé par une lettre de Voltaire à ce jésuite (voyez tome XXXIII, page 520). Voltaire dit ailleurs (voyez tome XXIX, page 530) avoir eu le Père Charlevoix pour préfet.
    Voltaire eut ce qu’on appelle des succès de collége. J. B. Rousseau, qui assis-