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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/306

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VIE DE VOLTAIRE.

Cependant la haine veillait toujours, et attendait ses moments. La Beaumelle, né en Languedoc d’une famille protestante, d’abord apprenti ministre à Genève, puis bel esprit français en Danemark, renvoyé bientôt de Copenhague, vint chercher fortune à Berlin, n’ayant pour titre de gloire qu’un libelle[1] qu’il venait de publier. Il va chez Voltaire, lui présente son livre, où Voltaire lui-même est maltraité, où La Beaumelle compare aux singes, aux nains qu’on avait autrefois dans certaines cours, les beaux esprits appelés à celle de Prusse, parmi lesquels il venait lui-même solliciter une place. Cette ridicule étourderie fut un moment l’objet des plaisanteries du souper du roi. Maupertuis rapporta ces plaisanteries à La Beaumelle, en chargea Voltaire seul, lui fit un ennemi irréconciliable, et s’assura d’un instrument qui servirait sa haine par de honteux libelles, sans que sa dignité de président d’académie en fût compromise.

Maupertuis avait besoin de secours ; il venait d’avancer un nouveau principe de mécanique, celui de la moindre action. Ce principe, à qui l’illustre Euler faisait l’honneur de le défendre, en même temps qu’il en apprenait à l’auteur même toute l’étendue et le véritable usage, essuya beaucoup de contradictions. Koënig non seulement le combattit, mais il prétendit de plus qu’il n’était pas nouveau, et cita un fragment d’une lettre de Leibnitz, où ce principe se trouvait indiqué. Maupertuis, instruit par Koënig même qu’il n’a qu’une copie de la lettre de Leibnitz, imagine de le faire sommer juridiquement, par l’Académie de Berlin, de produire l’original. Koënig mande qu’il tient sa copie du malheureux Hienzi[2], décapité longtemps auparavant pour avoir voulu délivrer les habitants du canton de Berne de la tyrannie du sénat. La lettre ne se trouva plus dans ce qui pouvait rester de ses papiers, et l’Académie, moitié crainte, moitié bassesse, déclara Koënig indigne du titre d’académicien, et le fit rayer de la liste. Maupertuis ignorait apparemment que l’opinion générale des savants peut seule donner ou enlever les découvertes ; mais qu’il faut qu’elle soit libre et volontairement énoncée ; et qu’une forme solennelle, en la rendant suspecte, peut lui ôter son autorité et sa force.

  1. Mes Pensées.
  2. Voyez tome XXIII, page 570.