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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/313

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VIE DE VOLTAIRE.

Ils ne réussirent qu’à troubler un moment le repos de celui qu’ils voulaient perdre. Ses amis détournèrent la persécution, en prouvant que l’ouvrage était falsifié ; et la haine des éditeurs le servit malgré eux.

Mais cette infidélité l’obligea d’achever la Pucelle, et de donner au public[1] un poëme dont l’auteur de Mahomet et du Siècle de Louis XIV n’eut plus à rougir. Cet ouvrage excita un enthousiasme très-vif dans une classe nombreuse de lecteurs, tandis que les ennemis de Voltaire affectèrent de le décrier comme indigne d’un philosophe, et presque comme une tache pour les œuvres et même pour la vie du poëte.

Mais si l’on peut regarder comme utile le projet de rendre la superstition ridicule aux yeux des hommes livrés à la volupté, et destinés, par la faiblesse même qui les entraîne au plaisir, à devenir un jour les victimes infortunées ou les instruments dangereux de ce vil tyran de l’humanité ; si l’affectation de l’austérité dans les mœurs, si le prix excessif attaché à leur pureté ne fait que servir les hypocrites, qui, en prenant le masque facile de la chasteté, peuvent se dispenser de toutes les vertus, et couvrir d’un voile sacré les vices les plus funestes à la société, la dureté de cœur, et l’intolérance ; si, en accoutumant les hommes à regarder comme autant de crimes des fautes dont ceux qui ont de l’honneur et de la conscience ne sont pas exempts, on étend sur les âmes même les plus pures le pouvoir de cette caste dangereuse qui, pour gouverner et troubler la terre, s’est rendue exclusivement l’interprète de la justice céleste : alors on ne verra dans l’auteur de la Pucelle que l’ennemi de l’hypocrisie et de la superstition.

Voltaire lui-même, en parlant de La Fontaine, a remarqué[2] avec raison que des ouvrages où la volupté est mêlée à la plaisanterie amusent l’imagination sans l’échauffer et sans la séduire ; et si des images voluptueuses et gaies sont pour l’imagination une source de plaisirs qui allègent le poids de l’ennui, diminuent le malheur des privations, délassent un esprit fatigué par le travail, remplissent des moments que l’âme abattue ou épuisée ne peut donner ni à l’action ni à une méditation utile, pourquoi priver les hommes d’une ressource que leur offre la nature ? Quel effet résultera-t-il de ces lectures ? aucun, sinon de disposer les hommes à plus de douceur et d’indulgence. Ce n’étaient point de pareils livres que lisaient Gérard ou Clément, et que les satellites de Cromwell portaient à l’arçon de leur selle.

  1. La première édition avouée par l’auteur est de 1762.
  2. Tome XXX, pages 330, 331.