Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/339

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
265
VIE DE VOLTAIRE.

Voltaire voyait avec plaisir la destruction de la vénalité, celle des épices, la diminution du ressort immense du parlement de Paris, abus qu’il combattait par le raisonnement et le ridicule depuis plus de quarante années. Il préférait un seul maître à plusieurs ; un souverain dont on ne peut craindre que les préjugés, à une troupe de despotes dont les préjugés sont encore plus dangereux, mais dont on doit craindre de plus les intérêts et les petites passions, et qui, plus redoutables aux hommes ordinaires, le sont surtout à ceux dont les lumières les effrayent, et dont la gloire les irrite. Il disait : « J’ai les reins peu flexibles ; je consens à faire une révérence, mais cent de suite me fatiguent. »

Il applaudit donc à ces changements ; et parmi les hommes éclairés qui partageaient son opinion, il osa seul la manifester. Sans doute il ne pouvait se dissimuler avec quelle petitesse de moyens et de vues on avait laissé échapper cette occasion si heureuse de réformer la législation française, de rendre aux esprits la liberté, aux hommes leurs droits ; de proscrire à la fois l’intolérance et la barbarie ; de faire enfin de ce moment l’époque d’une révolution heureuse pour la nation, glorieuse pour le prince et ses ministres. Mais Voltaire était aussi trop pénétrant pour ne pas sentir que si les lois étaient les mêmes, les tribunaux étaient changés ; que si même ils avaient hérité de l’esprit de leurs prédécesseurs, ils n’avaient pu hériter de leur crédit ni de leur audace ; que la nouveauté, en leur étant ce respect aveugle du vulgaire pour tout ce qui porte la rouille de l’antiquité, leur ôtait une grande partie de leur puissance ; que l’opinion seule pouvait la leur rendre, et que, pour obtenir son suffrage, il ne leur restait plus d’autre moyen que d’écouter la raison, et de s’unir aux ennemis des préjugés, aux amis de l’humanité.

L’approbation que Voltaire accorda aux opérations du chancelier Maupeou fut du moins utile aux malheureux. S’il ne put obtenir justice pour la mémoire de l’infortuné La Barre ; s’il ne put rendre le jeune d’Étallonde à sa patrie ; si un ménagement pusillanime pour le clergé l’emporta dans le ministre sur l’intérêt de sa gloire, du moins Voltaire eut le bonheur de sauver la femme de Montbailly. Cet infortuné, faussement accusé d’un parricide, avait péri sur la roue ; sa femme était condamnée à la mort ; elle supposa une grossesse, et eut le bonheur d’obtenir un sursis.

Nos tribunaux viennent de rejeter une loi sage qui, mettant entre le jugement et l’exécution un intervalle dont l’innocence peut profiter, eût prévenu presque toutes leurs injustices ; et ils l’ont refusée avec une humeur qui suffit pour en prouver la nécessité[1]. Les femmes seules, en se déclarant grosses, échappent aux dangers de ces exécutions précipitées. Dans l’espace de moins de vingt ans, ce moyen a sauvé la vie à trois personnes innocentes, sur lesquelles des circonstances particulières ont attiré la curiosité publique ; autre preuve de l’utilité de cette loi, à laquelle un orgueil barbare peut seul s’opposer, et qui doit subsister jusqu’au temps où l’expérience aura prouvé que la législation nouvelle (qui sans doute va bientôt remplacer l’ancienne) n’expose l’innocence à aucun danger.

  1. Il est juste d’observer que tous les magistrats n’ont pas cette haute idée