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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/468

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DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.

Il parla de l’Angleterre et de Shakespeare, et il expliqua à Mme Denis une partie de la scène de Henri V, où le roi fait sa cour à la reine Catherine en mauvais français[1] ; et de la scène où cette reine prend une leçon d’anglais de sa dame d’atours, et où il y a des équivoques très-forts, surtout sur le mot pied, et en s’adressant à moi, il dit : « Mais voilà ce que c’est qu’un auteur, il sera tout pour faire de l’argent. »

Voltaire. — Quand je vois un Anglais rusé et aimant les procès, je dis : voilà un Normand qui est venu avec Guillaume le Conquérant ; quand je vois un homme doux et poli, en voilà un qui est venu avec les Plantagenets ; un brutal, voilà un Danois : car votre nation, aussi bien que votre langue, est un galimatias de plusieurs autres.

Après dîner, en passant par un petit salon où il y avait une tête de Locke, une de la comtesse de Conventry, et plusieurs autres, il me prend par le bras et m’arrête : « Connaissez-vous ce buste ? C’est le plus grand génie qui ait existé : quand tous les génies de l’univers seraient rassemblés, il conduirait la bande. »

C’était de Newton et de ses propres ouvrages qu’il parlait toujours avec le plus de chaleur.


Si vous n’avez pas le temps de lire un court détail de minuties sur l’article de Voltaire, passez cette lettre.

Son château est commode et assez bien meublé ; parmi d’autres tableaux, on voyait le portrait de l’impératrice de Russie et celui du roi de Prusse, qui lui avait été envoyé par ce souverain, ainsi que son propre buste en porcelaine de Berlin avec l’inscription : Immortali.

Ses armoiries de noblesse[2] sont sur sa porte et sur toutes ses assiettes, qui sont d’argent ; au dessert, les cuillères, les fourchettes et les lames de couteau étaient de vermeil ; il y avait deux services et cinq domestiques, dont trois étaient en livrée : il n’est pas permis à un domestique étranger d’y entrer.

Il passe son temps à lire, à écrire, à jouer aux échecs avec le Père Adam, et à regarder bâtir son village.

L’âme de cet homme extraordinaire a été le théâtre de toutes les ambitions ; il a voulu être homme de lettres universel ; il a voulu être riche ; il a voulu être noble, et il a réussi à tout.

Sa dernière ambition a été de fonder une ville : et en examinant, on verra que toutes ses idées étaient dirigées à ce point. Après la disgrâce de M. de Choiseul, quand le ministère français eut abandonné le projet de bâtir une ville à Versoy pour y établir des manufactures et faire tomber le commerce des Genevois, Voltaire se décida de faire à Ferney ce que le gouvernement français avait voulu faire à Versoy.

Il saisit le moment des dissensions de la République de Genève, et, par

  1. King Henry V, acte III, scène iv, et acte V scène ii.
  2. Ces armes étaient : d’azur à trois flammes d’or.