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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/506

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HISTOIRE POSTHUME
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Le plus grand, le plus illustre, peut-être, hélas ! l’unique monument de cette époque glorieuse où tous les talents, tous les arts de l’esprit humain semblaient s’être élevés au plus haut degré de perfection, ce superbe monuments disparu ! Un coin de terre ignoré en dérobe à nos yeux les tristes débris.

Il n’est plus, celui qui fut à la fois l’Arioste et le Virgile de la France, qui ressuscita pour nous les chefs-d’œuvre des Sophocle et des Euripide, dont le génie atteignit tour à tour la hauteur des pensées de Corneille, le pathétique sublime de Racine, et, maître de l’empire qu’occupaient ces deux rivaux de la scène, en sut découvrir un nouveau plus digne encore de sa conquête dans les grands mouvements de la nature, dans les excès terribles du fanatisme, dans le contraste imposant des mœurs et des opinions.

Il n’est plus, celui qui, dans son immense carrière, embrassa toute l’étendue de nos connaissances, et laissa presque dans tous les genres des chefs-d’œuvre et des modèles ; le premier qui fit connaître à la France la philosophie de Newton, les vertus du meilleur de nos rois, et le véritable prix de la liberté du commerce et des lettres.

Il n’est plus, celui qui, le premier peut-être, écrivit l’histoire en philosophe, en homme d’État, en citoyen, combattit sans relâche tous les préjugés funestes au bonheur des hommes, et, couvrant l’erreur et la superstition d’opprobre et de ridicule, sut se faire entendre également de l’ignorant et du sage, des peuples et des rois.

Appuyé sur le génie du siècle qui l’a vu naître, seul il soutenait encore dans son déclin l’âge qui l’a vu mourir, seul il en retardait encore la chute. Il n’est plus, et déjà l’ignorance et l’envie osent insulter sa cendre révérée. On refuse à celui qui méritait un temple et des autels ce repos de la tombe, ces simples honneurs qu’on ne refuse pas même au dernier des humains[1].

  1. Ce n’est ni aux préventions de la cour, ni à celles des ministres, ni peut-être même au zèle intolérant des chefs du clergé, qu’il faut attribuer les difficultés que l’on a faites pour inhumer M. de Voltaire en terre sainte ; c’est dans la conduite ridicule et pusillanime de sa famille, c’est dans les intrigues de quelques dévotes et de leurs directeurs qu’il faut chercher l’origine d’une persécution si lâche et si honteuse. En ne supposant pas même qu’on pût refuser à M. de Voltaire ce qu’on ne refuse à aucun citoyen, en suivant simplement la marche indiquée par les lois et par l’usage, il n’y a pas une voix qui eût osé s’élever publiquement pour être l’organe du fanatisme le plus odieux ou de la haine la plus barbare. Mais, je ne sais quelles alarmes, quelles inquiétudes semées secrètement sous le nom spécieux du zèle et de la piété, une fois répandues, on a craint l’éclat du scandale. Les dévots ont fait montre alors de leur crédit, de leur puissance ; et l’on a cru devoir prendre toutes les mesures imaginables pour éviter une discussion dont il n’est jamais aisé de mesurer au juste les conséquences. Quoique les chroniques secrètes de la cour assurent que M. de Voltaire avait les droits les plus intimes sur les égards et sur l’amitié de M. le duc de Nivernais, on prétend que c’est Mme de Gisors et Mme de Nivernais qui ont excité plus que personne et l’archevêque et les curés de Paris à refuser un asile aux cendres de ce grand homme. Nous aimons encore mieux accuser de cette injustice le zèle aveugle d’une femme, qui peut-être d’ailleurs n’en est pas moins respectable, que […].