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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/524

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HISTOIRE POSTHUME

Le testament de M. de Voltaire, fait il y a environ six ans, a été ouvert. En voici les principaux articles : il laisse à M. d’Hornoy cent mille livres une fois payées ; autant à M. l’abbé Mignot ; à Mme Denis, environ deux cent cinquante mille livres, tant en papier qu’en argent comptant, la terre de Ferney et la maison qu’il venait d’acheter récemment à Paris sur la tête de Mme Denis. Cette dame restera riche de soixante mille livres de rente net. Il laisse à Wagnière, son secrétaire de connance, quatre cents livres de rente, huit mille livres d’argent comptant, la maison et les terres qu’il lui avait achetées à Ferney. Il fait aussi des legs particuliers à chacun de ses domestiques. À l’égard de ses manuscrits, il ne s’en est trouvé aucun. Son secrétaire avait eu soin de brûler à Ferney tous ceux qui pouvaient le compromettre, et M. de Voltaire, qui ne comptait plus retourner à Ferney, avait lui-même présidé à ce choix avant son départ. On croit qu’il a laissé en manuscrit à quelque ami de confiance une histoire politique de l’Église et de la religion chrétienne en général ; mais je n’ai jusqu’à présent aucune preuve certaine de ce fait. Vous savez, mon prince, qu’on a fait défense à tous les journalistes et gazetiers de faire mention de sa mort dans tous les papiers publics. Les comédiens français ont eu aussi ordre de ne jouer aucune de ses pièces jusqu’à nouvel ordre. Ce n’est que du lundi 8 juin que la Gazette de France a annoncé sa mort. À l’égard du service que l’Académie française fait faire à ceux de ses membres que la mort lui enlève, l’archevêque n’a pas encore permis à aucune église ou couvent de s’en charger, et l’on croit qu’il faudra renoncer pour M. de Voltaire à cet ancien usage.

On ignore qui sera le successeur de M. de Voltaire à l’Académie française : on sait seulement celui qu’il avait désigné de son vivant et lors même qu’il était en bonne santé. Celui qu’il désirait avoir pour successeur est en effet un homme d’un très-grand mérite, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, géomètre de la première force, et excellent écrivain. Enfin c’est M. le marquis de Condorcet, âgé d’environ trente-six ans, et qui réunit dans un degré supérieur une foule de connaissances diverses. Tel est l’homme que M. de Voltaire a désigné à plusieurs de ses amis intimes pour lui succéder ; il en faisait un cas infini, et n’en parlait jamais sans en faire l’éloge dans les termes les plus flatteurs et les plus obligeants.