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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome11.djvu/135

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DE MOÏSE, CHEF DE NATION.

Ils ne savent en quel temps placer Moïse ; le nom même du Pharaon, ou roi d’Égypte, sous lequel on le fait vivre est inconnu. Nul monument, nulles traces ne nous restent du pays dans lequel on le fait voyager. Il leur paraît impossible que Moïse ait gouverné deux ou trois millions d’hommes, pendant quarante ans, dans des déserts inhabitables, où l’on trouve à peine aujourd’hui deux ou trois hordes vagabondes qui ne composent pas trois à quatre mille hommes. Nous sommes bien loin d’adopter ce sentiment téméraire, qui saperait tous les fondements de l’ancienne histoire du peuple juif.

Nous n’adhérons pas non plus à l’opinion d’Aben-Esra, de Maïmonide, de Nugnès, de l’auteur des Cérémonies judaïques ; quoique le docte Le Clerc, Middleton, les savants connus sous le titre de Théologiens de Hollande, et même le grand Newton, aient fortifié ce sentiment. Ces illustres savants prétendent que ni Moïse ni Josué ne purent écrire les livres qui leur sont attribués : ils disent que leurs histoires et leurs lois auraient été gravées sur la pierre, si en effet elles avaient existé ; que cet art exige des soins prodigieux, et qu’il n’était pas possible de le cultiver dans des déserts. Ils se fondent, comme on peut le voir ailleurs[1], sur des anticipations, sur des contradictions apparentes. Nous embrassons, contre ces grands hommes, l’opinion commune, qui est celle de la Synagogue et de l’Église, dont nous reconnaissons l’infaillibilité.

Ce n’est pas que nous osions accuser les Le Clerc, les Middleton, les Newton, d’impiété ; à Dieu ne plaise ! Nous sommes convaincu que si les livres de Moïse et de Josué, et le reste du Pentateuque, ne leur paraissaient pas être de la main de ces héros Israélites, ils n’en ont pas été moins persuadés que ces livres sont inspirés. Ils reconnaissent le doigt de Dieu à chaque ligne dans la Genèse, dans Josué, dans Samson, dans Ruth. L’écrivain juif n’a été, pour ainsi dire, que le secrétaire de Dieu ; c’est Dieu qui a tout dicté. Newton sans doute n’a pu penser autrement ; on le sent assez. Dieu nous préserve de ressembler à ces hypocrites pervers qui saisissent tous les prétextes d’accuser tous les grands hommes d’irréligion, comme on les accusait autrefois de magie ! Nous croirions non-seulement agir contre la probité, mais insulter cruellement la religion chrétienne, si nous étions assez abandonné pour vouloir persuader au public que les plus savants hommes et les plus grands génies de la terre ne sont pas de vrais

  1. Traité sur la Tolérance, chap. xii. (Mélanges, année 1763.)