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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome11.djvu/24

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CHANGEMENTS DANS LE GLOBE.

toutes sablonneuses qui sont vers la mer Baltique ? Les Cyclades n’attestent-elles pas aux yeux mêmes, par tous les bas-fonds qui les entourent, par les végétations qu’on découvre aisément sous l’eau qui les baigne, qu’elles ont fait partie du continent ?

Le détroit de la Sicile, cet ancien gouffre de Charybde et de Scylla, dangereux encore aujourd’hui pour les petites barques, ne semble-t-il pas nous apprendre que la Sicile était autrefois jointe à l’Apulie, comme l’antiquité l’a toujours cru ? Le mont Vésuve et le mont Etna ont les mêmes fondements sous la mer qui les sépare. Le Vésuve ne commença d’être un volcan dangereux que quand l’Etna cessa de l’être ; l’un des deux soupiraux jette encore des flammes quand l’autre est tranquille : une secousse violente abîma la partie de cette montagne qui joignait Naples à la Sicile.

Toute l’Europe sait que la mer a englouti la moitié de la Frise. J’ai vu, il y a quarante ans, les clochers de dix-huit villages près du Mordick, qui s’élevaient encore au-dessus de ses inondations, et qui ont cédé depuis à l’effort des vagues. Il est sensible que la mer abandonne en peu de temps ses anciens rivages. Voyez Aigues-Mortes[1], Fréjus, Ravenne, qui ont été des ports, et qui ne le sont plus ; voyez Damiette, où nous abordâmes du temps des croisades, et qui est actuellement à dix milles au milieu des terres ; la mer se retire tous les jours de Rosette. La nature rend partout témoignage de ces révolutions ; et, s’il s’est perdu des étoiles dans l’immensité de l’espace, si la septième des Pléiades est disparue depuis longtemps, si plusieurs autres se sont évanouies aux yeux dans la voie lactée, devons-nous être surpris que notre petit globe subisse des changements continuels ?

Je ne prétends pas assurer que la mer ait formé ou même côtoyé toutes les montagnes de la terre. Les coquilles trouvées près de ces montagnes peuvent avoir été le logement de petits testacées qui habitaient des lacs ; et ces lacs, qui ont disparu par des tremblements de terre, se seront jetés dans d’autres lacs inférieurs. Les cornes d’Ammon, les pierres étoilées, les lenticulaires, les judaïques, les glossopètres, m’ont paru des fossiles terrestres. Je n’ai jamais osé penser que ces glossopètres pussent être des langues de chien marin[2], et je suis de l’avis de celui qui a dit qu’il

  1. M. F.-Em. di Pietro, dans sa Notice sur la ville d’Aigues-Mortes, Montpellier, 1821, in-8o, établit que depuis saint Louis la mer n’a pas reculé de dix pieds devant Aigues-Mortes. (D.)
  2. Voyez dans les Mélanges, année 1746, les notes des éditeurs de Kehl à la Dissertation sur les changements arrivés dans notre globe ; et année 1768, les Singularités de la nature.