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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome12.djvu/173

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DE L’ÉTAT DES JUIFS EN EUROPE.

concile de Latran ordonna qu’ils portassent une petite roue sur la poitrine, pour les distinguer des chrétiens. Ces marques changèrent avec le temps ; mais partout on leur en faisait porter une à laquelle on pût les reconnaître. Il leur était expressément défendu de prendre des servantes ou des nourrices chrétiennes, et encore plus des concubines : il y eut même quelques pays où l’on faisait brûler les filles dont un Juif avait abusé, et les hommes qui avaient eu les faveurs d’une Juive, par la grande raison qu’en rend le grand jurisconsulte Gallus, que « c’est la même chose de coucher avec un Juif que de coucher avec un chien ».

Quand ils avaient un procès contre un chrétien, on les faisait jurer par Sabaoth, Éloï et Adonaï, par les dix noms de Dieu, et on leur annonçait la fièvre tierce, quarte, et quotidienne, s’ils se parjuraient ; à quoi ils répondaient : Amen. On avait toujours soin de les pendre entre deux chiens, lorsqu’ils étaient condamnés.

Il leur était permis en Angleterre de prendre des biens de campagne en hypothèque pour les sommes qu’ils avaient prêtées. On trouve dans le Monasticum anglicanum qu’il en coûta six marques sterling, sex marcas (peut-être six marcs), pour libérer une terre hypothéquée à la juiverie.

Ils furent chassés de presque toutes les villes de l’Europe chrétienne en divers temps mais presque toujours rappelés ; il n’y a guère que Rome qui les ait constamment gardés. Ils furent entièrement chassés de France, en 1394, par Charles VI, et jamais depuis ils n’ont pu obtenir de séjourner dans Paris, où ils avaient occupé les halles et sept ou huit rues entières. On leur a seulement permis des synagogues dans Metz et dans Bordeaux, parce qu’on les y trouva établis lorsque ces villes furent unies à la couronne ; et ils sont toujours restés constamment à Avignon, parce que c’était terre papale. En un mot, ils furent partout usuriers, selon le privilége et la bénédiction de leur loi, et partout en horreur par la même raison.

Leurs fameux rabbins Maïmonide, Abrabanel, Aben-Esra, et d’autres, avaient beau dire aux chrétiens dans leurs livres : Nous sommes vos pères, nos écritures sont les vôtres, nos livres sont lus dans vos églises, nos cantiques y sont chantés ; on leur répondait en les pillant, en les chassant, ou en les faisant pendre entre deux chiens ; on prit en Espagne et en Portugal l’usage de les brûler. Les derniers temps leur ont été plus favorables, surtout en Hollande et en Angleterre, où ils jouissent de leurs richesses, et de tous les droits de l’humanité dont on ne doit dépouiller personne. Ils ont même été sur le point d’obtenir le droit