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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome12.djvu/256

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CHAPITRE CXXI.

porté à sa perfection tandis que les armées de Charles-Quint saccagèrent Rome, que Barberousse ravagea les côtes, et que les dissensions des princes et des républiques troublèrent l’intérieur du pays.

L’Italie eut, dans Guichardin, son Thucydide, ou plutôt son Xénophon, car il commanda quelquefois dans les guerres qu’il écrivit. Il n’y eut, en aucune province d’Italie, d’orateurs comme les Démosthène, les Périclès, les Eschine. Le gouvernement ne comportait presque nulle part cette espèce de mérite. Celui du théâtre, quoique très-inférieur à ce que fut depuis la scène française, pouvait être comparé à la scène grecque qu’elle faisait revivre ; il y a de la vérité, du naturel et du bon comique dans les comédies de l’Arioste ; et la seule Mandragore de Machiavel vaut peut-être mieux que toutes les pièces d’Aristophane. Machiavel, d’ailleurs, était un excellent historien, avec lequel un bel esprit, tel qu’Aristophane, ne peut entrer en aucune sorte de comparaison. Le cardinal Bibiena avait fait revivre la comédie grecque ; et Trissino, archevêque de Bénévent[1], la tragédie, dès le commencement du XVIe siècle. Ruccelaï suivit bientôt l’archevêque Trissino. On traduisit à Venise les meilleures pièces de Plaute ; et on les traduisit en vers, comme elles doivent l’être, puisque c’est en vers que Plaute les écrivit ; elles furent jouées avec succès sur les théâtres de Venise, et dans les couvents où l’on cultivait les lettres.

Les Italiens, en imitant les tragiques grecs et les comiques latins, ne les égalèrent pas ; mais ils firent de la pastorale un genre nouveau dans lequel ils n’avaient point de guides, et où personne ne les a surpassés. L’Aminta du Tasse, et le Pastor Fido du Guarini, sont encore le charme de tous ceux qui entendent l’italien.

Presque toutes les nations polies de l’Europe sentirent alors le besoin de l’art théâtral, qui rassemble les citoyens, adoucit les mœurs, et conduit à la morale par le plaisir. Les Espagnols approchèrent un peu des Italiens ; mais ils ne purent parvenir à faire aucun ouvrage régulier. Il y eut un théâtre en Angleterre, mais il était encore plus sauvage. Shakespeare donna de la réputation à ce théâtre sur la fin du XVIe siècle. Son génie perça au milieu de la barbarie, comme Lope de Véga en Espagne. C’est dommage qu’il y ait beaucoup plus de barbarie encore que de génie dans les ouvrages de Shakespeare. Pourquoi des scènes entières du Pastor Fido sont-elles sues par cœur aujourd’hui à Stockholm et à Pétersbourg ? et pourquoi aucune pièce de Shakespeare n’a-t-elle

  1. Trissino n’était pas ecclésiastique : voyez la note sur la Dissertation, en tête de la tragédie de Sémiramis, tome III du Théâtre, page 488.