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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome12.djvu/300

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CHAPITRE CXXVIII.

la ville de Vittemberg, et bientôt après dans le reste de la Saxe. On abattit les images. Les moines et les religieuses sortaient de leurs cloîtres ; et peu d’années après, Luther épousa une religieuse nommée Catherine Bore. Les ecclésiastiques de l’ancienne communion lui reprochèrent qu’il ne pouvait se passer de femme : Luther leur répondit qu’ils ne pouvaient se passer de maîtresses. Ces reproches mutuels étaient bien différents : les prêtres catholiques, qu’on accusait d’incontinence, étaient forcés d’avouer qu’ils transgressaient la discipline de l’Église entière : Luther et les siens la changeaient.

La loi de l’histoire oblige de rendre justice à la plupart des moines qui abandonnèrent leurs églises et leurs cloîtres pour se marier. Ils reprirent, il est vrai, la liberté dont ils avaient fait le sacrifice : ils rompirent leurs vœux ; mais ils ne furent point libertins, et on ne peut leur reprocher des mœurs scandaleuses. La même impartialité doit reconnaître que Luther et les autres moines, en contractant des mariages utiles à l’État, ne violaient guère plus leurs vœux que ceux qui, ayant fait serment d’être pauvres et humbles, possédaient des richesses fastueuses.

Parmi les voix qui s’élevaient contre Luther, plusieurs faisaient entendre avec ironie que celui qui avait consulté le diable pour détruire la messe témoignait au diable sa reconnaissance en abolissant les exorcismes, et qu’il voulait renverser tous les remparts élevés pour repousser l’ennemi des hommes. On a remarqué depuis, dans tous les pays où l’on cessa d’exorciser, que le nombre énorme de possessions et de sortiléges diminua beaucoup. On disait, on écrivait que les démons entendaient mal leurs intérêts, de ne se réfugier que chez les catholiques, qui seuls avaient le pouvoir de leur commander ; et on n’a pas manqué d’observer que le nombre des sorciers et des possédés a été prodigieux dans l’Église romaine jusqu’à nos derniers temps. Il ne faut point plaisanter sur les sujets tristes. C’était une matière très-sérieuse, rendue funeste par le malheur de tant de familles et le supplice de tant d’infortunés ; et c’est un grand bonheur pour le genre humain que les tribunaux, dans les pays éclairés, n’admettent plus enfin les obsessions et la magie. Les réformateurs arrachèrent cette pierre de scandale deux cents ans avant les catholiques. On leur reprochait de heurter les fondements de la religion chrétienne ; on leur disait que les obsessions et les sortiléges sont admis expressément dans l’Écriture, que Jésus-Christ chassait les démons, et qu’il envoya surtout ses apôtres pour les chasser en son nom. Ils répondaient à cette objection pressante ce que répondent