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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome12.djvu/306

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CHAPITRE CXXX.

Cette fête de deux tyrans fut terminée par la boucherie qu’on fit de plus de six cents citoyens, sans distinction d’âge ni de sexe.

Les deux monstres, qui devaient périr par le supplice du grand-prieur de Saint-Jean, moururent à la vérité dans leur lit ; mais l’archevêque après avoir été blessé dans un combat, et Christiern après avoir été détrôné. Le fameux Gustave Vasa, comme nous l’avons dit[1] en parlant de la Suède, délivra sa patrie du tyran (1523), et les quatre états du royaume lui ayant décerné la couronne, il ne tarda pas à exterminer une religion dont on avait abusé pour commettre de si exécrables crimes.

Le luthéranisme fut donc bientôt établi sans aucune contradiction dans la Suède et dans le Danemark, immédiatement après que le tyran eut été chassé de ses deux États.

Luther se voyait l’apôtre du Nord, et jouissait en paix de sa gloire. Dès l’an 1525 les États de Saxe, de Brunswick, de Hesse, les villes de Strasbourg et de Francfort, embrassaient sa doctrine.

Il est certain que l’Église romaine avait besoin de réforme ; le pape Adrien, successeur de Léon X, l’avouait lui-même. Il n’est pas moins certain que s’il n’y avait pas eu dans le monde chrétien une autorité qui fixât le sens de l’Écriture et les dogmes de la religion, il y aurait autant de sectes que d’hommes qui sauraient lire : car enfin le divin législateur n’a daigné rien écrire ; ses disciples ont dit très-peu de choses, et ils les ont dites d’une manière qu’il est quelquefois très-difficile d’entendre par soi-même ; presque chaque mot peut susciter une querelle ; mais aussi une puissance qui aurait le droit de commander toujours aux hommes au nom de Dieu abuserait bientôt d’un tel pouvoir. Le genre humain s’est trouvé souvent, dans la religion comme dans le gouvernement, entre la tyrannie et l’anarchie, prêt à tomber dans l’un de ces deux gouffres[2].

  1. Chapitre cxix, page 228.
  2. L’anarchie en politique est un grand mal, parce qu’il est important au bonheur commun que la force publique se réunisse pour la protection du droit de chacun ; au contraire, l’anarchie dans la religion non-seulement est indifférente, mais elle est même presque nécessaire au repos public. Il est difficile que deux sectes rivales subsistent sans causer de troubles, et presque impossible que deux cents sectes en puissent causer jamais. La tolérance absolue, la destruction de toute juridiction ecclésiastique, de toute influence du clergé sur les actes civils, sont les seuls moyens d’assurer la tranquillité.

    D’ailleurs, il faut observer que le droit d’examiner ce qu’on doit croire, et de professer ce qu’on croit, est un droit naturel qu’aucune puissance ne peut limiter sans tyrannie, et que personne ne peut attaquer sans violer les premières lois de la conscience.

    Tout homme de bonne foi, qui raisonnerait juste, ne pourrait proposer une loi d’intolérance, sans poser pour premier principe que la religion n’est et ne peut jamais être qu’un établissement politique. Aussi compte-t-on, parmi les fauteurs de l’intolérance, plus d’hypocrites encore que de fanatiques. (K.)