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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome12.djvu/351

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DES ORDRES RELIGIEUX.

mer une congrégation particulière. Ignace et ses compagnons avaient de la vertu ; ils étaient désintéressés, mortifiés, pleins de zèle. On doit avouer aussi qu’Ignace brûlait de l’ambition d’être chef d’un institut. Cette espèce de vanité, dans laquelle entre l’ambition de commander, s’affermit dans un cœur par le sacrifice des autres passions, et agit d’autant plus puissamment qu’elle se joint à des vertus. Si Ignace n’avait pas eu cette passion, il serait entré avec les siens dans l’ordre des théatins, que le cardinal Cajetan avait établi. En vain ce cardinal le sollicitait d’entrer dans cette communauté, l’envie d’être fondateur l’empêcha d’être religieux sous un autre.

Les chemins de Jérusalem n’étaient pas sûrs ; il fallut rester en Europe. Ignace, qui avait appris un peu de grammaire, se consacra à enseigner les enfants. Ses disciples remplirent cette vue avec un très-grand succès ; mais ce succès même fut une source de troubles. Les jésuites eurent à combattre des rivaux dans les universités où ils furent reçus ; et les villes où ils enseignèrent en concurrence avec l’université furent un théâtre de divisions.

Si le désir d’enseigner, que la charité inspira à ce fondateur, a produit des événements funestes, l’humilité par laquelle il renonça, lui et les siens, aux dignités ecclésiastiques est précisément ce qui a fait la grandeur de son ordre. La plupart des souverains prirent des jésuites pour confesseurs, afin de n’avoir pas un évêché à donner pour une absolution ; et la place de confesseur est devenue souvent bien plus importante qu’un siége épiscopal. C’est un ministère secret qui devient puissant à proportion de la faiblesse du prince.

Enfin Ignace et ses compagnons, pour arracher du pape une bulle d’établissement, fort difficile à obtenir, furent conseillés de faire, outre les vœux ordinaires, un quatrième vœu particulier d’obéissance au pape ; et c’est ce quatrième vœu, qui, dans la suite, a produit des missionnaires portant la religion et la gloire du souverain pontife aux extrémités de la terre. Voilà comme l’esprit du monde le moins politique donna naissance au plus politique de tous les ordres monastiques. En matière de religion, l’enthousiasme commence toujours le bâtiment ; mais l’habileté l’achève.

(1540) Paul III promulgua leur bulle d’institution, avec la clause expresse que leur nombre ne passerait jamais soixante. Cependant Ignace, avant de mourir, eut plus de mille jésuites sous ses ordres. La prudence gouverna enfin son enthousiasme :