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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome12.djvu/364

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fut plus barbare[1] : il fit brûler trois malheureux savants, accusés de ne pas penser comme les autres ; mais jamais l’Inquisition italienne n’a égalé les horreurs de celle d’Espagne. Le plus grand mal qu’elle ait fait à la longue en Italie a été de tenir autant qu’elle l’a pu dans l’ignorance une nation spirituelle. Il faut que ceux qui écrivent demandent à un jacobin permission de penser, et les autres, permission de lire. Les hommes éclairés, qui sont en grand nombre, gémissent tout bas en Italie ; le reste vit dans les plaisirs et l’ignorance ; le bas peuple, dans la superstition. Plus les Italiens ont d’esprit, plus on a voulu le restreindre ; et cet esprit ne leur sert qu’à être dominés par des moines dont il faut baiser la main dans plusieurs provinces ; de même qu’il ne leur a servi qu’à baiser les fers des Goths, des Lombards, des Francs, et des Teutons[2].

Ayant ainsi parcouru tout ce qui est attaché à la religion, et réservant pour un autre lieu l’histoire plus détaillée des malheurs dont elle fut en France et en Allemagne la cause ou le prétexte, je viens au prodige des découvertes qui firent en ce temps la gloire et la richesse du Portugal et de l’Espagne, qui embrassèrent l’univers entier, et qui rendirent Philippe II le plus puissant monarque de l’Europe.

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  1. Aucun pontife, dit l’auteur de l’Essai historique sur la puissance temporelle des papes, n’a fait brûler à Rome plus d’hérétiques ou de personnes suspectes d’hérésie. On remarque parmi les victimes de son zèle plusieurs savants, et surtout Paléarius, qui avait comparé l’Inquisition à un poignard dirigé sur les gens de lettres, sicam districtam in jugula litteratorum. (B.)
  2. Depuis que M. de Voltaire a écrit ce chapitre, l’Inquisition a été détruite à Milan, sous le règne de l’impératrice Marie-Thérèse, d’après les conseils du comte de Firmian, à qui l’Italie doit la renaissance des lumières que, depuis le temps de Fra-Paolo, la superstition se flattait d’avoir pour jamais étouffées.

    Ce tribunal vient d’être détruit en Sicile par M. de Caraccioli, vice-roi de cette île, l’un des hommes d’État de l’Europe les plus savants et les plus éclairés, et que nous avons vu longtemps à Paris un des hommes les plus aimables de la société. La liberté du commerce des grains, celle de fabriquer et de vendre du pain vient d’être accordée par lui à ce pays, où de si mauvaises lois avaient si longtemps rendu inutiles et la fertilité du sol, et les avantages de la situation la plus heureuse, et le génie des compatriotes de Théocrite et d’Archimède.

    Cependant l’Inquisition a repris de nouvelles forces en Espagne : elle oblige plusieurs jeunes Espagnols qui annonçaient des talents pour les sciences de renoncer à leur patrie. Elle a poursuivi Olavidès, qui avait créé dans un désert une province peuplée d’hommes laborieux et pleins d’industrie, mais qui avait commis le plus grand des crimes aux yeux des prêtres, celui d’avoir bien connu toute l’étendue du mal qu’ils ont fait aux hommes. (K.)