Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome12.djvu/381

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
371
DE L’INDE.

pris pour un usage général. On nous dit qu’à Cochin ce n’est point le fils du roi qui est son héritier, mais le fils de sa sœur. Un tel règlement contredit trop la nature ; il n’y a point d’homme qui veuille exclure son fils de son héritage, et si ce roi de Cochin n’a point de sœur, à qui appartiendra le trône ? Il est vraisemblable qu’un neveu habile l’aura emporté sur un fils mal conseillé et mal secouru, ou qu’un prince, n’ayant laissé que des fils en bas âge, aura eu son neveu pour successeur, et qu’un voyageur aura pris cet accident pour une loi fondamentale. Cent écrivains auront copié ce voyageur, et l’erreur se sera accréditée.

Des auteurs qui ont vécu dans l’Inde prétendent que personne ne possède de bien en propre dans les États du Grand Mogol : ce qui serait encore plus contre la nature. Les mêmes écrivains nous assurent qu’ils ont négocié avec des Indiens riches de plusieurs millions. Ces deux assertions semblent un peu se contredire. Il faut toujours se souvenir que les conquérants du Nord ont établi l’usage des fiefs depuis la Lombardie jusqu’à l’Inde. Un banian qui aurait voyagé en Italie du temps d’Astolphe et d’Albouin aurait-il eu raison d’affirmer que les Italiens ne possédaient rien en propre ? On ne peut trop combattre cette idée, humiliante pour le genre humain, qu’il y a des pays où des millions d’hommes travaillent sans cesse pour un seul qui dévore tout.

Nous ne devons pas moins nous défier de ceux qui nous parlent de temples consacrés à la débauche. Mettons-nous à la place d’un Indien qui serait témoin dans nos climats de quelques scènes scandaleuses de nos moines : il ne devrait pas assurer que c’est là leur institut et leur règle.

Ce qui attirera surtout votre attention, c’est de voir presque tous ces peuples imbus de l’opinion que leurs dieux sont venus souvent sur la terre. Visnou s’y métamorphosa neuf fois dans la presqu’île du Gange ; Sammonocodom, le dieu des Siamois, y prit cinq cent cinquante fois la forme humaine. Cette idée leur est commune avec les anciens Égyptiens, les Grecs, les Romains. Une erreur si téméraire, si ridicule et si universelle, vient pourtant d’un sentiment raisonnable qui est au fond de tous les cœurs : on sent naturellement sa dépendance d’un Être suprême, et l’erreur, se joignant toujours à la vérité, a fait regarder les dieux, dans presque toute la terre, comme des seigneurs qui venaient quelquefois visiter et réformer leurs domaines. La religion a été chez tant de peuples comme l’astronomie : l’une et l’autre ont précédé les temps historiques ; l’une et l’autre ont été un mélange de vérité et d’imposture. Les premiers observateurs du cours véri-