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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome12.djvu/550

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CHAPITRE CLXXIV.

déjà la France pour une de ses provinces. Le duc de Savoie, gendre de Philippe, envahit la Provence et le Dauphiné. Le parlement de Languedoc défend, sous peine de la vie, de le reconnaître, et le déclare « incapable de posséder jamais la couronne de France, conformément à la bulle de notre saint-père le pape ». Le parlement de Rouen (septembre 1589) déclare « criminels de lèse-majesté divine et humaine » tous ses adhérents[1].

Henri IV n’avait pour lui que la justice de sa cause, son courage, et quelques amis. Jamais il ne fut en état de tenir longtemps une armée sur pied, et encore quelle armée ! elle ne se monta presque jamais à douze mille hommes complets : c’était moins que les détachements de nos jours. Ses serviteurs venaient tour à tour se ranger sous sa bannière, et s’en retournaient les uns après les autres au bout de quelques mois de service. Les Suisses, qu’à peine il pouvait payer, et quelques compagnies de lances, faisaient le fond permanent de ses forces. Il fallait courir de ville en ville, combattre et négocier sans relâche. Il n’y a presque point de provinces en France où il n’ait fait de grands exploits à la tête de quelques amis qui lui tenaient lieu d’armée.

D’abord, avec environ cinq mille combattants, il bat, à la journée d’Arques (octobre 1589), auprès de Dieppe, l’armée du duc de Mayenne, forte de vingt mille hommes ; c’est alors qu’il écrivit cette lettre au marquis de Crillon : « Pends-toi, brave Crillon ; nous avons combattu à Arques, et tu n’y étais pas. Adieu, mon ami, je vous aime à tort et à travers. » Ensuite il emporte les faubourgs de Paris, et il ne lui manque qu’assez de soldats pour prendre la ville. Il faut qu’il se retire, qu’il force jusqu’aux villages retranchés pour s’ouvrir des passages, pour communiquer avec les villes qui défendent sa cause.

Pendant qu’il est ainsi continuellement dans la fatigue et dans le danger, un cardinal Gajetan, légat de Rome, vient tranquillement à Paris donner des lois au nom du pape. La Sorbonne ne cesse de déclarer qu’il n’est pas roi (et elle subsiste encore !) ; et

  1. Les apologistes des jésuites ont reproché ces arrêts aux parlements, lorsqu’ils détruisaient les jésuites, en les accusant de ces mêmes excès. La justice oblige d’observer qu’on ne doit reprocher à un corps que les crimes qui lui ont été inspirés par l’intérêt ou par l’esprit de corps. On peut alors dire à ceux qui le composent : « Voilà ce que vos prédécesseurs ont fait, voilà ce que dans les mêmes circonstances on pourrait attendre de vous ; l’esprit qui les animait n’est point éteint, votre intérêt n’a pas changé. » Mais il n’est pas plus raisonnable de reprocher à des corps séculiers les crimes du fanatisme ou de la superstition dont leurs prédécesseurs se sont souillés que de reprocher les excès de la Saint-Barthélemy aux descendants des Tavanne ou des Guises. (K.)