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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome12.djvu/590

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CHAPITRE CLXXV.

siastiques de cour portaient souvent l’épée, et, parmi les duels et les combats particuliers qui désolaient la France, on en comptait beaucoup où des gens d’Église avaient eu part, depuis le cardinal de Guise, qui tira l’épée contre le duc de Nevers-Gonzague en 1617, jusqu’à l’abbé depuis cardinal de Retz, qui se battait souvent en sollicitant l’archevêché de Paris.

Les esprits demeuraient en général grossiers et sans culture. Les génies des Malherbe et des Racan n’étaient qu’une lumière naissante qui ne se répandait pas dans la nation. Une pédanterie sauvage, compagne de cette ignorance qui passait pour science, aigrissait les mœurs de tous les corps destinés à enseigner la jeunesse, et même de la magistrature. On a de la peine à croire que le parlement de Paris, en 1621, défendit, sous peine de mort, de rien enseigner de contraire à Aristote et aux anciens auteurs, et qu’on bannit de Paris un nommé de Clave et ses associés pour avoir voulu soutenir des thèses contre les principes d’Aristote, sur le nombre des éléments, et sur la matière et la forme.

Malgré ces mœurs sévères, et malgré ces rigueurs, la justice était vénale dans presque tous les tribunaux des provinces. Henri IV l’avait avoué au parlement de Paris, qui se distingua toujours autant par une probité incorruptible que par un esprit de résistance aux volontés des ministres et aux édits pécuniaires. « Je sais, leur disait-il, que vous ne vendez point la justice ; mais dans d’autres parlements il faut souvent soutenir son droit par beaucoup d’argent : je m’en souviens, et j’ai boursillé moi- même. »

La noblesse, cantonnée dans ses châteaux, ou montant à cheval pour aller servir un gouverneur de province, ou se rangeant auprès des princes qui troublaient l’État, opprimait les cultivateurs. Les villes étaient sans police, les chemins impraticables et infestés de brigands. Les registres du parlement font foi que le guet qui veille à la sûreté de Paris consistait alors en quarante-cinq hommes, qui ne faisaient aucun service. Ces dérèglements, que Henri IV ne put réformer, n’étaient pas de ces maladies du corps politique qui peuvent le détruire : les maladies véritablement dangereuses étaient le dérangement des finances, la dissipation des trésors amassés par Henri IV, la nécessité de mettre