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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome13.djvu/191

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RÉSUMÉ DE CETTE HISTOIRE.

et sur quelques montagnes, au milieu de notre Europe, des portions de peuples qui n’ont nul avantage sur ceux du Canada ou des noirs de l’Afrique. Les Turcs sont plus policés ; mais nous ne connaissons presque aucune ville bâtie par eux : ils ont laissé dépérir les plus beaux établissements de l’antiquité ; ils règnent sur des ruines.

Il n’est rien dans l’Asie qui ressemble à la noblesse d’Europe : on ne trouve nulle part en Orient un ordre de citoyens distingués des autres par des titres héréditaires, par des exemptions et des droits attachés uniquement à la naissance. Les Tartares paraissent les seuls qui aient dans les races de leurs mirzas quelque faible image de cette institution : on ne voit ni en Turquie, ni en Perse, ni aux Indes, ni à la Chine, rien qui donne l’idée de ces corps de nobles qui forment une partie essentielle de chaque monarchie européane. Il faut aller jusqu’au Malabar pour retrouver une apparence de cette constitution, encore est-elle très-différente : c’est une tribu entière qui est toute destinée aux armes, qui ne s’allie jamais aux autres tribus ou castes, qui ne daigne même avoir avec elles aucun commerce.

L’auteur de l’Esprit des Lois dit qu’il n’y a point de républiques en Asie[1]. Cependant cent hordes de Tartares, et des peuplades d’Arabes, forment des républiques errantes. Il y eut autrefois des républiques très-florissantes et supérieures à celles de la Grèce, comme Tyr et Sidon. On n’en trouve plus de pareilles depuis leur chute. Les grands empires ont tout englouti. Le même auteur croit en voir une raison dans les vastes plaines de l’Asie. Il prétend que la liberté trouve plus d’asiles dans les montagnes ; mais il y a bien autant de pays montueux en Asie qu’en Europe. La Pologne, qui est une république, est un pays de plaines. Venise et la Hollande ne sont point hérissées de montagnes. Les Suisses sont libres, à la vérité, dans une partie des Alpes ; mais leurs voisins sont assujettis de tout temps dans l’autre partie. Il est bien délicat de chercher les raisons physiques des gouvernements ; mais surtout il ne faut pas chercher la raison de ce qui n’est point.

La plus grande différence entre nous et les Orientaux est la manière dont nous traitons les femmes. Aucune n’a régné dans l’Orient, si ce n’est une princesse de Mingrélie dont nous parle

  1. Montesquieu, dans la 131e de ses Lettres persanes, dit que la plupart des Asiatiques n’ont pas l’idée de cette sorte de gouvernement. L’Asie et l’Afrique ont toujours été accablées sous le despotisme, si vous en exceptez quelques villes de l’Asie Mineure, et la république de Carthage. Dans l’Esprit des Lois, livre XI, chapitre viii, il parle des colonies grecques de l’Asie Mineure. (B.)