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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome13.djvu/630

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LETTRE À LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA.

attira tant de chagrins, et qui rend sa mémoire si précieuse, pourrait-elle me nuire dans un siècle beaucoup plus éclairé que le sien ?

Quel fanatique imbécile pourrait me reprocher d’avoir respecté les trois religions autorisées dans l’empire ? quel insensé voudrait que j’eusse fait le controversiste au lieu d’écrire en historien ? Je me suis borné aux faits ; ces faits sont avérés, sont authentiques ; mille plumes les ont écrits ; aucun homme juste ne peut s’en plaindre. Une grande reine disait à propos d’un historien : « En nous parlant des fautes de nos prédécesseurs, il nous montre nos devoirs. Ceux qui nous entourent nous cachent la vérité ; les seuls historiens nous la disent. »

Il y a eu des empereurs injustes et cruels, des papes et des évêques indignes de l’être : qui en doute ? la consolation du genre humain est d’avoir des annales fidèles qui, en exposant les crimes, excitent à la vertu. Qu’importe au sage empereur[1] qui règne de nos jours que Henri V et Henri VI aient été cruels ? qu’importe au pontife éclairé, juste, modéré[2], qui occupe aujourd’hui le trône de Rome, qu’Alexandre VI ait laissé une mémoire odieuse ? Les horreurs des siècles passés font l’éloge du siècle présent. Malheur à ceux qui, chargés de l’éducation des princes, leur cachent les antiques vérités ! ils les accoutument dès leur enfance à ne rien voir que de faux, et ils préparent, dans les berceaux des maîtres du monde, le poison du mensonge dont ils doivent être abreuvés toute leur vie.

Vous, madame, qui aimez la vérité, et qui avez voulu que je la dise, recevez ce nouvel hommage que je rends à vous et à elle.

Je suis avec le plus profond respect et l’attachement le plus inviolable,

Madame,
de Votre Altesse Sérénissime,


Le très-humble et très-obéissant serviteur,


V.
FIN DES ANNALES DE L’EMPIRE.
  1. François Ier, cinquante-deuxième empereur, époux de Marie-Thérèse.
  2. Benoît XIV, à qui Voltaire dédia Mahomet.