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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/168

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ARTISTES CÉLÈBRES

y a une fatalité sur les académies : aucun ouvrage qu’on appelle académique n’a été encore, en aucun genre, un ouvrage de génie. Donnez-moi un artiste tout occupé de la crainte de ne pas saisir la manière de ses confrères, ses productions seront compassées et contraintes. Donnez-moi un homme d’un esprit libre, plein de la nature qu’il copie, il réussira. Presque tous les artistes sublimes, ou ont fleuri avant les établissements des académies, ou ont travaillé dans un goût différent de celui qui régnait dans ces sociétés.

Corneille, Racine, Despréaux, Lesueur, Lemoine, non-seulement prirent une route différente de leurs confrères, mais ils les avaient presque tous pour ennemis.

Poussin (Nicolas), né aux Andelys, en Normandie, en 1594, fut l’élève de son génie ; il se perfectionna à Rome. On l’appelle le peintre des gens d’esprit ; on pourrait aussi l’appeler celui des gens de goût. Il n’a d’autre défaut que celui d’avoir outré le sombre du coloris de l’école romaine. Il était, dans son temps, le plus grand peintre de l’Europe. Rappelé de Rome à Paris, il y céda à l’envie et aux cabales ; il se retira ; c’est ce qui est arrivé à plus d’un artiste. Le Poussin retourna à Rome, où il vécut pauvre, mais content. Sa philosophie le mit au-dessus de la fortune. Mort en 1665.

Lesueur (Eustache), né à Paris en 1617, n’ayant eu que Vouet pour maître, devint cependant un peintre excellent. Il avait porté l’art de la peinture au plus haut point, lorsqu’il mourut, à l’âge de trente-huit ans, en 1655.

Bourdon et le Valentin[1] ont été célèbres. Trois des meilleurs tableaux qui ornent l’église de Saint-Pierre de Rome sont du Poussin, du Bourdon et du Valentin.

Lebrun (Charles), né à Paris en 1619. À peine eut-il développé son talent que le surintendant Fouquet, l’un des plus généreux et des plus malheureux hommes qui aient jamais été, lui donna une pension de vingt-quatre mille livres de notre monnaie d’aujourd’hui. Il est à remarquer que son tableau de la Famille de Darius, qui est à Versailles, n’est point effacé par le coloris du tableau de Paul Véronèse, qu’on voit à côté, et le surpasse beaucoup par le dessin, la composition, la dignité, l’expression, et la fidélité du costume. Les estampes de ses tableaux des batailles d’Alexandre sont encore plus recherchées que les batailles de Constantin, par Raphaël et par Jules Romain. Mort en 1690.

  1. Sébastien Bourdon, né en 1616, mort en 1671. Moise Valentin, né en 1600, mort en 1632.