Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et on grava sur sa tombe : Sta, viator ; heroem calcas : Arrête, voyageur ; tu foules un héros. Cette bataille mit le comble à la gloire de Condé, et fit celle de Turenne, qui eut l’honneur d’aider puissamment le prince à remporter une victoire dont il pouvait être humilié. Peut-être ne fut-il jamais si grand qu’en servant ainsi celui dont il fut depuis l’émule et le vainqueur.

Le nom du duc d’Enghien éclipsait alors tous les autres noms. (7 octobre 1646) Il assiégea ensuite Dunkerque, à la vue de l’armée espagnole, et il fut le premier qui donna cette place à la France.

Tant de succès et de services, moins récompensés que suspects à la cour, le faisaient craindre du ministère autant que des ennemis. On le tira du théâtre de ses conquêtes et de sa gloire, et on l’envoya en Catalogne avec de mauvaises troupes mal payées ; il assiégea Lérida, et fut obligé de lever le siège (1647). On l’accuse, dans quelques livres, de fanfaronnade, pour avoir ouvert la tranchée avec des violons. On ne savait pas que c’était l’usage en Espagne.

Bientôt les affaires chancelantes forcèrent la cour de rappeler Condé[1] en Flandre. L’archiduc Léopold, frère de l’empereur Ferdinand III, assiégeait Lens en Artois. Condé, rendu à ses troupes qui avaient toujours vaincu sous lui, les mena droit à l’archiduc. C’était pour la troisième fois qu’il donnait bataille avec le désavantage du nombre. Il dit à ses soldats ces seules paroles : « Amis, souvenez-vous de Rocroi, de Fribourg, et de Nordlingen. »

(10 août 1648) Il dégagea lui-même le maréchal de Grammont, qui pliait avec l’aile gauche ; il prit le général Beck. L’archiduc se sauva à peine avec le comte de Fuensaldagne. Les Impériaux et les Espagnols, qui composaient cette armée, furent dissipés ; ils perdirent plus de cent drapeaux, et trente-huit pièces de canon, ce qui était alors très-considérable. On leur fit cinq mille prisonniers, on leur tua trois mille hommes, le reste déserta, et l’archiduc demeura sans armée.

Ceux qui veulent véritablement s’instruire peuvent remarquer que, depuis la fondation de la monarchie, jamais les Français n’avaient gagné de suite tant de batailles, et de si glorieuses par la conduite et par le courage.

Tandis que le prince de Condé comptait ainsi les années de sa jeunesse par des victoires, et que le duc d’Orléans, frère de Louis XIII, avait aussi soutenu la réputation d’un fils de Henri IV

  1. Son père était mort en 1646. (Note de Voltaire.)