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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/330

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pereur Léopold : il l’avait rendu vainqueur des Turcs et des Hongrois. Il vint, avec l’électeur de Brandebourg, balancer la fortune du roi de France. Il reprit Bonn et Mayence, villes très-mal fortifiées, mais défendues d’une manière qui fut regardée comme un modèle de défense de places. Bonn ne se rendit qu’au bout de trois mois et demi de siège (12 octobre 1689), après que le baron d’Asfeld, qui y commandait, eut été blessé dans un assaut général.

Le marquis d’Uxelles, depuis maréchal de France, l’un des hommes les plus sages et les plus prévoyants, fit, pour défendre Mayence, des dispositions si bien entendues que sa garnison n’était presque point fatiguée en servant beaucoup. Outre les soins qu’il eut au dedans, il fit vingt et une sorties sur les ennemis, et leur tua plus de cinq mille hommes. Il fit même quelquefois deux sorties en plein jour ; enfin il fallut se rendre, faute de poudre, au bout de sept semaines. Cette défense mérite place dans l’histoire, et par elle-même, et par la manière dont elle fut reçue dans le public. Paris, cette ville immense, pleine d’un peuple oisif qui veut juger de tout, et qui a tant d’oreilles et tant de langues avec si peu d’yeux, regarda d’Uxelles comme un homme timide et sans jugement. Cet homme, à qui tous les bons officiers donnaient de justes éloges, étant, au retour de la campagne, à la comédie sur le théâtre, reçut des huées du public ; on lui cria : Mayence. Il fut obligé de se retirer, non sans mépriser, avec les gens sages, un peuple si mauvais estimateur du mérite, et dont cependant on ambitionne les louanges[1].

(Juin 1689) Environ dans le même temps, le maréchal d’Humières fut battu à Valcour sur la Sambre, aux Pays-Bas, par le prince de Valdeck ; mais cet échec, qui fit tort à sa réputation, en fit peu aux armes de la France. Louvois, dont il était la créature et l’ami, fut obligé de lui ôter le commandement de cette armée. Il fallait le remplacer.

Le roi choisit le maréchal de Luxembourg malgré son ministre, qui le haïssait comme il avait haï Turenne. « Je vous promets, lui dit le roi, que j’aurai soin que Louvois aille droit. Je l’obligerai de sacrifier au bien de mon service la haine qu’il a pour vous : vous n’écrirez qu’à moi, vos lettres ne passeront point par lui[2]. » Luxembourg commanda donc en Flandre, et Catinat en

  1. Si Voltaire insiste ici sur la bonne conduite du marquis d’Uxelles, c’est qu’on accusa celui-ci de s’être entendu avec Louvois pour rendre la place au moment où Duras allait la secourir. (G. A.)
  2. Mémoires du maréchal de Luxembourg. (Note de Voltaire.) — « Il n’est pas vrai, dit toutefois M. Henri Martin, que Luxembourg ait obtenu de corres-