Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/385

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se retirant par les marais d’Hochstedt ; mais ni lui, ni Marsin, ni personne, ne songea à cette armée qui restait encore dans Bleinheim, attendant des ordres, et n’en recevant point. Elle était de onze mille hommes effectifs : c’étaient les plus anciens corps. Il y a plusieurs exemples de moindres armées qui ont battu des armées de cinquante mille hommes, ou qui ont fait des retraites glorieuses ; mais l’endroit où on se trouve posté décide de tout. Ils ne pouvaient sortir des rues étroites d’un village, pour se mettre d’eux-mêmes en ordre de bataille devant une armée victorieuse, qui les eût à chaque instant accablés par un plus grand front, par son artillerie, et par les canons mêmes de l’armée vaincue, qui étaient déjà au pouvoir du vainqueur. L’officier général qui devait les commander, le marquis de Clérembault, fils du maréchal de Clérembault, courut pour demander les ordres du maréchal de Tallard ; il apprend qu’il est pris ; il ne voit que des fuyards : il fuit avec eux, et va se noyer dans le Danube.

Sivières, brigadier qui était posté dans ce village, tente alors un coup hardi : il crie aux officiers d’Artois et de Provence de marcher avec lui ; plusieurs officiers même des autres régiments y accourent ; ils fondent sur l’ennemi, comme on fait une sortie d’une place assiégée ; mais après la sortie, il faut rentrer dans la place. Un de ces officiers, nommé Des-Nonvilles, revint à cheval un moment après dans le village avec milord Orkney du nom d’Hamilton. « Est-ce un Anglais prisonnier que vous nous amenez ? lui dirent les officiers en l’entourant. « Non, messieurs, je suis prisonnier moi-même, et je viens vous dire qu’il n’y a d’autre parti pour vous que de vous rendre prisonniers de guerre. Voilà le comte d’Orkney qui vous offre la capitulation. » Toutes ces vieilles bandes frémirent ; Navarre déchira et enterra ses drapeaux, mais enfin il fallut plier sous la nécessité, et cette armée se rendit sans combattre. Milord Orkney m’a dit que ce corps de troupes ne pouvait faire autrement dans sa situation gênée. L’Europe fut étonnée que les meilleures troupes françaises eussent subi en corps cette ignominie. On imputait leur malheur à la lâcheté ; mais, quelques années après, quatorze mille Suédois se rendant à discrétion aux Russes en rase campagne ont justifié les Français[1].

Telle fut la célèbre bataille qui en France a le nom d’Hochstedt, en Allemagne de Pleintheim, et en Angleterre de Blein-

  1. À Pultawa. Voyez l’Histoire de Charles XII.