Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/458

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par sa singularité, par sa magnificence, et les plaisirs de l’esprit qui, se mêlant à la splendeur de ces divertissements, y ajoutaient un goût et des grâces dont aucune fête n’avait encore été embellie. Versailles commençait à être un séjour délicieux, sans approcher de la grandeur dont il fut depuis.

(1664) Le 5 mai, le roi y vint avec la cour composée de six cents personnes, qui furent défrayées avec leur suite, aussi bien que tous ceux qui servirent aux apprêts de ces enchantements. Il ne manqua jamais à ces fêtes que des monuments construits exprès pour les donner, tels qu’en élevèrent les Grecs et les Romains ; mais la promptitude avec laquelle on construisit des théâtres, des amphithéâtres, des portiques, ornés avec autant de magnificence que de goût, était une merveille qui ajoutait à l’illusion, et qui, diversifiée depuis en mille manières, augmentait encore le charme de ces spectacles.

Il y eut d’abord une espèce de carrousel. Ceux qui devaient courir parurent le premier jour comme dans une revue : ils étaient précédés de hérauts d’armes, de pages, d’écuyers, qui portaient leurs devises et leurs boucliers ; et sur ces boucliers étaient écrits en lettres d’or des vers composés par Perigni et par Benserade. Ce dernier surtout avait un talent singulier pour ces pièces galantes, dans lesquelles il faisait toujours des allusions délicates et piquantes aux caractères des personnes, aux personnages de l’antiquité ou de la fable qu’on représentait, et aux passions qui animaient la cour. Le roi représentait Roger : tous les diamants de la couronne brillaient sur son habit et sur le cheval qu’il montait. Les reines et trois cents dames, sous des arcs de triomphe, voyaient cette entrée.

Le roi, parmi tous les regards attachés sur lui, ne distinguait que ceux de Mlle de La Vallière. La fête était pour elle seule ; elle en jouissait, confondue dans la foule.

La cavalcade était suivie d’un char doré de dix-huit pieds de haut, de quinze de large, de vingt-quatre de long, représentant le char du Soleil. Les quatre Âges, d’or, d’argent, d’airain, et de fer ; les signes célestes, les Saisons, les Heures, suivaient à pied ce char. Tout était caractérisé. Des bergers portaient les pièces de la barrière qu’on ajustait au son des trompettes, auxquelles succédaient par intervalle les musettes et les violons. Quelques personnages, qui suivaient le char d’Apollon, vinrent d’abord réciter aux reines des vers convenables au lieu, au temps, au roi, et aux dames. Les courses finies, et la nuit venue, quatre mille gros flambeaux éclairèrent l’espace où se donnaient les fêtes. Des tables