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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/461

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ANECDOTES DU RÈGNE DE LOUIS XIV.

(1664) Le légat a latere[1] Chigi, neveu du pape Alexandre VII, venant au milieu de toutes les réjouissances de Versailles faire satisfaction au roi de l’attentat des gardes du pape, étala à la cour un spectacle nouveau. Ces grandes cérémonies sont des fêtes pour le public. Les honneurs qu’on lui fit rendaient la satisfaction plus éclatante. Il reçut, sous un dais, les respects des cours supérieures, du corps de ville, du clergé. Il entra dans Paris au bruit du canon, ayant le grand Condé à sa droite, et le fils de ce prince à sa gauche, et vint, dans cet appareil, s’humilier, lui, Rome, et le pape, devant un roi qui n’avait pas encore tiré l’épée. Il dîna avec Louis XIV après l’audience, et on ne fut occupé que de le traiter avec magnificence, et de lui procurer des plaisirs. On traita depuis le doge de Gênes avec moins d’honneurs, mais avec ce même empressement de plaire, que le roi concilia toujours avec ses démarches altières.

Tout cela donnait à la cour de Louis XIV un air de grandeur qui effaçait toutes les autres cours de l’Europe. Il voulait que cet éclat, attaché à sa personne, rejaillît sur tout ce qui l’environnait ; que tous les grands fussent honorés, et qu’aucun ne fût puissant, à commencer par son frère, et par Monsieur le Prince. C’est dans cette vue qu’il jugea en faveur des pairs leur ancienne querelle avec les présidents du parlement. Ceux-ci prétendaient devoir opiner avant les pairs, et s’étaient mis en possession de ce droit. Il régla dans un conseil extraordinaire que les pairs opineraient aux lits de justice, en présence du roi, avant les présidents, comme s’ils ne devaient cette prérogative qu’à sa présence ; et il laissa subsister l’ancien usage dans les assemblées qui ne sont pas des lits de justice[2].

Pour distinguer ses principaux courtisans, il avait inventé des casaques bleues, brodées d’or et d’argent. La permission de les porter était une grande grâce pour des hommes que la vanité mène[3]. On les demandait presque comme le collier de l’ordre[4]. On peut remarquer, puisqu’il est ici question de petits détails, qu’on portait alors des casaques par-dessus un pourpoint orné de rubans, et sur cette casaque passait un baudrier, auquel pendait l’épée. On avait une espèce de rabat à dentelles, et un chapeau orné de deux rangs de plumes. Cette mode, qui dura jusqu’à

  1. Voyez la note, tome XI, page 362.
  2. Voyez l’Histoire du Parlement chapitre lviii.
  3. Il fallait un brevet de la main du roi pour porter ce costume, qu’on appelait juste-au-corps à brevet. (G. A.)
  4. L’ordre du Saint-Esprit.