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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/503

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SUITE DES ANECDOTES.

son nom sans respect, et sans concevoir à ce nom l’idée d’un siècle éternellement mémorable. Si l’on considère ce prince dans sa vie privée, on le voit à la vérité trop plein de sa grandeur, mais affable, ne donnant point à sa mère de part au gouvernement, mais remplissant avec elle tous les devoirs d’un fils, et observant avec son épouse tous les dehors de la bienséance : bon père, bon maître, toujours décent en public, laborieux dans le cabinet, exact dans les affaires, pensant juste, parlant bien, et aimable avec dignité.

J’ai déjà remarqué ailleurs[1] qu’il ne prononça jamais les paroles qu’on lui fait dire lorsque le premier gentilhomme de la chambre et le grand-maître de la garde-robe se disputaient l’honneur de le servir : « Qu’importe lequel de mes valets me serve ? » Un discours si grossier ne pouvait partir d’un homme aussi poli et aussi attentif qu’il l’était, et ne s’accordait guère avec ce qu’il dit un jour au duc de La Rochefoucauld au sujet de ses dettes : « Que ne parlez-vous à vos amis ? » Mot bien différent, qui, par lui-même, valait beaucoup, et qui fut accompagné d’un don de cinquante mille écus.

Il n’est pas même vrai qu’il ait écrit au duc de La Rochefoucauld : « Je vous fais mon compliment, comme votre ami, sur la charge de grand-maître de la garde-robe, que je vous donne comme votre roi. » Les historiens lui font honneur de cette lettre. C’est ne pas sentir combien il est peu délicat, combien même il est dur de dire à celui dont on est le maître, qu’on est son maître. Cela serait à sa place si on écrivait à un sujet qui aurait été rebelle : c’est ce que Henri IV aurait pu dire au duc de Mayenne avant l’entière réconciliation. Le secrétaire du cabinet, Rose, écrivit cette lettre ; et le roi avait trop de bon goût pour l’envoyer. C’est ce bon goût qui lui fit supprimer les inscriptions fastueuses dont Charpentier, de l’Académie française, avait chargé les tableaux de Lebrun, dans la galerie de Versailles. L’incroyable passage du Rhin, la merveilleuse prise de Valenciennes, etc. Le roi sentit que La prise de Valenciennes, le passage du Rhin, disaient davantage. Charpentier avait eu raison d’orner d’inscriptions en notre langue les monuments de sa patrie ; la flatterie seule avait nui à l’exécution.

On a recueilli quelques réponses, quelques mots de ce prince, qui se réduisent à très-peu de chose. On prétend que, quand il résolut d’abolir en France le calvinisme, il dit : « Mon grand-père aimait les huguenots, et ne les craignait pas ; mon père ne les

  1. Dans les Anecdotes imprimés en 1748 ; voyez aux Mélanges.