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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/506

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ticulier et une application universelle à tout. Il faut se garder contre soi-même, prendre garde à son inclination, et être toujours en garde contre son naturel. Le métier de roi est grand, noble et flatteur[1], quand on se sent digne de bien s’acquitter de toutes les choses auxquelles il engage ; mais il n’est pas exempt de peines, de fatigues, d’inquiétudes. L’incertitude désespère quelquefois ; et quand on a passé un temps raisonnable à examiner une affaire, il faut se déterminer, et prendre le parti qu’on croit le meilleur[2].

« Quand on a l’État en vue, on travaille pour soi ; le bien de l’un fait la gloire de l’autre : quand le premier est heureux, élevé et puissant, celui qui en est cause en est glorieux, et par conséquent doit plus goûter que ses sujets, par rapport à lui et à eux, tout ce qu’il y a de plus agréable dans la vie. Quand on s’est mépris, il faut réparer sa faute le plus tôt qu’il est possible, et que nulle considération n’en empêche, pas même la bonté.

« En 1671, un homme mourut, qui avait la charge de secrétaire d’État, ayant le département des étrangers. Il était homme capable, mais non pas sans défauts : il ne laissait pas de bien remplir ce poste, qui est très-important.

« Je fus quelque temps à penser à qui je ferais avoir cette charge ; et après avoir bien examiné, je trouvai qu’un homme, qui avait longtemps servi dans des ambassades, était celui qui la remplirait le mieux[3].

« Je lui fis mander de venir. Mon choix fut approuvé de tout le monde ; ce qui n’arrive pas toujours. Je le mis en possession de cette charge à son retour. Je ne le connaissais que de réputation, et par les commissions dont je l’avais chargé, et qu’il avait bien exécutées ; mais l’emploi que je lui ai donné s’est trouvé trop grand et trop étendu pour lui. Je n’ai pas profité de tous les avantages que je pouvais avoir, et tout cela par complaisance et bonté.

  1. M. Renouard a remarqué le premier que le manuscrit et la copie portent délicieux au lieu de flatteur.
  2. L’abbé Castel de Saint-Pierre, connu par plusieurs ouvrages singuliers, dans lesquels on trouve beaucoup de vues philosophiques et très-peu de praticables, a laissé des Annales politiques depuis 1658 jusqu’à 1730. Il condamne sévèrement en plusieurs endroits l’administration de Louis XIV. Il ne veut pas surtout qu’on l’appelle Louis le Grand. Si grand signifie parfait, il est sûr que ce titre ne lui convient pas ; mais par ces Mémoires écrits de la main de ce monarque, il paraît qu’il avait d’aussi bons principes de gouvernement, pour le moins, que l’abbé de Saint-Pierre. Ces Mémoires de l’abbé de Saint-Pierre n’ont rien de curieux que la bonne foi grossière avec laquelle cet homme se croit fait pour gouverner. (Note de Voltaire.) — Cette note est de 1756. Les Annales de l’abbé de Saint-Pierre n’ont été imprimées qu’en 1758. (B.)
  3. M. de Pomponne. (Note de Voltaire.)